samedi 29 mars 2014

"J'étais Quentin Erschen" d'Isabelle Coudrier.



C'est le deuxième roman de cette auteure, après "Va et-dis-le aux chiens". Je n'ai pas lu le premier, mais il se pourrait que je me mette à sa recherche, j'ai aimé "J'étais Quentin Erschen"
Je l'ai lu doucement, je ne pouvais pas le dévorer, il me laissait à chaque fois un drôle de sentiment lorsque je le refermais, un peu de tristesse, de mal-être, un goût d'étrange. C'est bien le but de l'écriture, provoquer chez les lecteurs une réaction, de la joie, du rire ou des larmes, un sentiment d'empathie envers les personnages ou au contraire. Un livre est réussi lorsqu'il arrive à provoquer un ou plusieurs de ses sentiments, sinon nous le refermons, nous l'abandonnons, nous l'oublions.

C'est l'histoire de trois enfants qui ont perdu leur maman alors qu'ils étaient bébés, 3 ans, 2 ans, 1 an. Le père est cardiologue en Alsace à Olsenheim, il travaille beaucoup, une nounou compétente mais un peu froide s'occupe d'eux. Natacha est la petite voisine, fille unique, elle passe tout son temps libre avec les trois enfants Erschen, complètement happée par eux et attirée irrésistiblement par Quentin l'aîné des garçons, Quentin lui n'aime pas Natacha, il a de l'affection pour elle, la considérant presque comme sa soeur, en vérité Quentin est incapable d'aimer qui que soit, les filles le poursuivent, il est beau, intelligent, surdoué, mais inapte à la vie en société.

C'est là tout le talent d'Isabelle Coudrier, elle trouve les mots simples pour nous intriguer, pourquoi est-ce que Quentin est orphelin du sentiment amoureux ? C'est un être complexe, il semble vraiment indifférent à tout.
Pourquoi est-ce que ces quatre enfants devenus des adultes n'arrivent pas à couper les liens de leur enfance ? Ces liens qui les empêchent de grandir. Ils sont quatre mais ont les mêmes relations qu'auraient des vrais jumeaux, incapables de se séparer, d'inviter les autres dans leur intimité, comme si un contrat avait été passé entre eux.

Delphine la petite soeur de Quentin, amie de Natacha est différente de ses frères, elle veut être boulangère, eux deviendront médecins, le père est opposé à cette vocation, Delphine disparaîtra sans donner d'explications, on retrouvera dans son placard des coupures de journaux qui sont peut-être la raison de son départ.

Raphaël est le plus équilibré des trois, il sort beaucoup, a de nombreuses aventures, réussit ses études de médecine mais, il y a un mais...A vous de le découvrir.

Evidemment, il y a une raison, l'évolution des personnages se fait en fonction de cette raison que nous apprenons à la moitié du livre. C'est tragique. Quentin traîne avec lui quelque chose qu'il a vécu à trois ans mais qu'il n'a jamais pu exprimer parce que tout est enfoui en lui, est-ce qu'il s'en souvient ? Trois ans, avons nous des souvenirs précis de cette période de notre enfance ?

Le père est là, complètement anéanti, incapable de s'occuper de ses enfants lorsqu'ils étaient petits, il est bourré de remords lorsqu'il s'aperçoit des dégâts que son absence a provoqués.

La fin est douloureuse pour Quentin, joyeuse pour Raphaël. J'ai refermé le livre songeuse.

Belle écriture, d'une grande neutralité mais pas froide, tout s'enchaîne naturellement jusqu'au drame final.  Une lecture envoûtante, il y a un côté violent dans les sentiments mais doux en même temps. 

Ce livre m'a aussi permis de mesurer tout le travail qu'il faut fournir pour accéder au titre de médecin, Quentin sera chirurgien. Si vous avez lu mon bloc-notes d'hier, je parle de l'assistant de mon chirurgien qui est très jeune, je n'ai pas pu le regarder avec des yeux neutres, j'étais encore dans le bouquin, j'ai pensé aux années d'études, aux sacrifices faits. Je voyais qu'il manquait un tout petit peu d'expérience, ça ne peut pas nous échapper, ne serait-ce que dans la façon d'aborder le malade, je voyais qu'il voulait se montrer sûr de lui alors qu'il ne l'était pas du tout. Un beau métier qui se peaufine au fil des années.

Je vous conseille ce livre, mais je ne suis pas certaine qu'il plaira à tout le monde, moi j'ai aimé, beaucoup aimé. Il n'est pas en poche, il vient juste d'être publié.

Je vais attaquer "Tous cramés" de Gilles Legardinier, un autre genre, certainement plus 
léger et ensuite ce sera "Muchachas" de Pancol prêté par Michèle, ma fournisseuse de lectures.

Bye MClaire.











vendredi 21 mars 2014

"Mémé" de Philippe Torreton


Si vous aimez le cinéma ou le théâtre vous connaissez Philippe Torreton. J'aime l'acteur, j'aime l'homme pour tous ses combats et maintenant j'aime l'écrivain. C'est un homme passionné, nous le découvrons amoureux de sa mémé dans ce livre.




Il y a une célèbre maxime qui dit "Pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient.". Oui, ne jamais oublier d'où l'on vient.
Il n'a pas oublié d'où il venait, de cette Normandie pluvieuse mais belle, d'un petit village Triqueville (en Normandie tous les noms des villages ou villes se terminent par VILLE)  où il passait toutes ses vacances chez sa mémé. Si vous ne veniez pas de Triqueville, pour les habitants du bourg vous étiez un horsain, même si vous habitiez à une dizaine de kilomètres.

De nos jours les enfants n'appellent plus leur grand-mère "mémé" c'est mamie ou pour faire un peu plus chic "grand-mère". J'appelais mon arrière grand-mère Mémé, j'en avais qu'une.

Autant le dire tout de suite, j'ai adoré ce livre, à mon avis c'est un bouquin qu'il faut lire d'une traite pour apprécier.
Un livre tendre, très émouvant et qui fait remonter en nous plein de souvenirs.
J'ai retrouvé un passage qui disait exactement ce que Christian me racontait tout dernièrement, il me parlait de ses vacances dans la ferme de ses grands-parents :
"Les oeufs pouvaient être sales, le lait gras irisé de jaune, parfois des poils de vache flottaient dedans -entre le pis et l'assiette il n'y avait pas bien long- et on le buvait tiède comme les veaux sous la mère."

Mémé ne gaspillait rien, elle recyclait, avait la parcimonie des choses, c'était une femme de la campagne, elle respectait la terre: "Les plastiques de ma grand-mère avaient peu de chance d'aller étouffer une tortue luth dans les mers chaudes."
Mémé embrassait aussi avec parcimonie, mais elle faisait tout avec amour, les repas familiaux, les chèques pour des cadeaux, l'argent économisé sur sa faible retraite " Je ne me souviens plus de la somme exacte, de toute façon elle ferait rire les visiteurs de fin d'après-midi de Madame Bettencourt....."

Mémé habitait une petite maison humide, la chambre était côté ouest, celui qui reçoit la Normandie pluvieuse en pleine face, une étrave de bateau.". Les enfants ont fait abattre un mur pour qu'elle ait une salle à manger plus grande, cette salle a reçu tous les meubles qu'ils ne voulaient plus, une sorte de dépôt Emmaus.

Mémé est allée voir jouer son petit-fils à la Comédie Française, place Colette, lui était tellement heureux de la voir là si fière, il aurait voulu lui faire tout connaître, mais elle repartait le soir même chez elle. Ses chaussures lui faisaient mal.

A la fin j'ai pleuré, mémé meurt à l'hôpital, elle avait perdu la tête, elle prenait sa fille pour sa mère, voyait des vaches manger les géraniums sur le rebord de la fenêtre de sa chambre d'hôpital, mais dans un dernier sursaut de lucidité à murmuré à l'oreille de son petit-fils "Ce n'est pas facile de mourir."

Je pourrais citer une multitude de passages aussi beaux les uns que les autres.

Philippe Torreton fait l'éloge des "gens de peu", il se moque de ce que peuvent penser les bobos, les snobs. C'est son enfance qu'il raconte et il en est fier, c'est pour ça que j'aime cet homme, ce comédien, cet écrivain.


"Mémé, c'est ma mémé, même si ça ne se dit plus. 
Mémé me manque.
 Ses silences, ses mots simples au Scrabble, sa maison enfouie sous les pommiers et son buffet d'avant-guerre. Ce texte est subjectif, partial, amoureux, ce n'est pas une enquête, ce n'est pas une biographie, c'est ce que j'ai vu, compris ou pas, ce que j'ai perdu et voulu retenir, une dernière fois.
 Mémé, c'est mon regard de gamin qui ne veut pas passer à autre chose".


Ma mémé. 


Nous avons tous des souvenirs des moments passés avec notre mémé. Je n'aurais pas pu jouer au scrabble avec ma mémé (arrière grand-mère), elle ne savait ni lire ni écrire, mais j'ai mangé des gâteaux délicieux, je suis allée avec elle chaque après-midi, même par grosse chaleur, mettre de l'ordre sur la tombe de ceux qu'elle avait perdus, je piquais les perles des gerbes pour faire des colliers, je l'écoutais raconter, elle nous faisait rire, toujours le petit mot moqueur, quelques mots d'espagnol parsemaient les phrases, elle était intelligente, je regardais les tomates qu'elle faisait sécher en plein été sur le muret de son deux pièces,  je l'ai amené de Paris à Peyruis sans savoir que ce serait son dernier voyage. Ma grand-mère a dû supporter des tragédies dans sa vie, mais elle n'était pas triste. Elle avait quitté l'Algérie à 80 ans et avait supporté la "transplantation"
Comme la mémé de P.Torreton elle avait dû faire sienne cette phrase d'Hamlet (elle n'avait certainement jamais entendu parler d'Hamlet) :
"Si c'est maintenant, ce n'est pas à venir. Si ce n'est pas à venir, ce sera maintenant. Si ce n'est pas maintenant, pourquoi cela viendra. Le tout est d'être prêt...", sauf qu'elle ne le disait pas comme ça elle aurait dit
"qu'est-ce qu'on peut y faire de toute façon ?".

Elle embrassait aussi avec parcimonie, mais elle nous aimait.

Lisez ce livre et gardez le, il n'est pas impossible que vous ayez envie de le relire. C'est MVonne qui l'a acheté, je vais le rendre mais il va certainement faire le tour du club de Plouharnel. Merci.

Bye MClaire.









samedi 15 mars 2014

LA RECETTE MAGIQUE DE TANTE PALMA de Francisco Azevedo.



"A ceux qui sont déjà partis, à ceux qui sont ici et à ceux qui viendront encore. La famille c'est nous tous."

Je ne peux pas attendre quelques jours pour vous faire partager mon enthousiasme pour ce livre. J'ai adoré, j'ai tout aimé, pas un seul moment d'ennui, un bouquin magnifique.
Je ne connaissais pas du tout cet auteur brésilien, c'est un dramaturge, un poète, il travaille pour le cinéma et son livre est un best-seller au Brésil. Je comprends, j'espère que vous partagerez avec moi mon enthousiasme si vous le lisez aussi. "O arroz de Palma" en brésilien.
Je défie quiconque de ne pas se reconnaître dans un des passages du livre.

C'est un roman sur la famille, une belle leçon de vie et d'amour. 

Antonio a quatre vingt huit ans, il est seul dans la cuisine de sa fazenda à quatre heures du matin. Isabel sa femme dort. "Le vieil homme a la nostalgie de sa mère et de son père. Tout cela est si lointain ! Le vieil homme veut qu'on le prenne dans les bras, il veut que la cuillère vienne à sa bouche en imitant le vrombissement d'un petit avion qui approche, il veut après le bain qu'on le mette au lit avec un traversin moelleux, qu'on le borde avec un drap propre."

J'ai lu ce passage et j'étais émue à un point que vous ne pouvez imaginer, il me semblait que tout était dit.

Antonio a une famille comme nous tous, avec ses peines, ses disputes, ses réconciliations, ses ponts qui se coupent, qui se reconstruisent ou pas."Il y a des familles sucrées, d'autres plus amères"
"La famille est un plat qui, quand il est terminé, ne se répète plus jamais."

La famille est un plat difficile à préparer. Il y a beaucoup d'ingrédients. Les réunir tous est un problème - surtout à Noël et au nouvel an. Peu importe la marmite, concocter une famille exige courage, dévotion et patience."
"Très vite, vous aussi vous sentirez bon l'ail et l'oignon. N'ayez pas honte si vous pleurez. La famille est un plat qui émeut. De joie, de rage ou de tristesse."
"Attention également aux dosages. Une pincée de trop de ceci ou de cela et ça y est, c'est le désastre. La famille est un plat extrêmement sensible. Tout doit être extrèmement bien pesé, bien mesuré. Autre chose : il faut avoir la main heureuse, se montrer expert. Surtout au moment où l'on décide de mettre son grain de sel. Savoir mettre son grain de sel est tout un art. Une de mes grandes amies a raté la recette familiale uniquement parce qu'elle a mis son grain de sel au mauvais moment".
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Ses parents ont quitté le Portugal parce qu'il y avait la famine, aucun espoir, ils se sont exilés au Brésil, ont trouvé du travail dans une fazenda, les patrons sont très vite devenus des amis. 
José Costadio et Maria Romana n'ont pas d'enfant, lui a une soeur Palma qui s'est exilée avec eux. Le jour de leur mariage au Portugal, au lancer du riz, Palma a récupéré tout le riz après la cérémonie, l'a mis dans un sac et décide que ce riz serait porteur de joie, il apportera le bonheur et la fertilité. José et Maria auront quatre enfants après des années d'infertilité, Palma avait concocté une recette avec ce riz. 
Un de leurs enfants Antonio  épousera Isabel la fille des patrons de la fazenda. C'est leur histoire que l'auteur raconte.

C'est l'histoire de cette famille et de son sac de riz que nous suivons sur 100 ans.

Tout ce qu'une famille peut vivre est dans ce roman. Pour faire une famille il faut savoir réunir tous les ingrédients et Antonio y parvient, avec ses faiblesses, ses erreurs, ses errements, ses colères.
Les quatre enfants de José Costadio sont très différents, comme dans toutes les familles. Il y a Leonor qui se marie avec Sebastiao un homme un peu rustre mais gentil, elle est jalouse de son frère qui réussit, partira vivre dans un état du Brésil loin de sa famille, la verra très peu, Nicolau qui se marie avec Amàlia, il se satisfait de son sort, n'aura pas les mêmes ambitions qu'Antonio et Joaquim le bringueur qui se mariera plusieurs fois, n'arrivera pas à se fixer, c'est sa façon d'être heureux. Une famille qui se rencontre très peu mais qui se retrouvera réunie à la fin du livre chez Antonio, ils seront 96, douze tables de huit. Enfants, petits enfants, arrière petits-enfants, il y aura aussi Nuno son fils avec son compagnon Andrew arrivés de New-York et Susan la petite nièce d'Andrew qu'il élève depuis que sa soeur est morte dans un accident. 
Tout le riz sera cuisiné ce jour là.
"Vient goûter le bonheur pour voir s'il est salé comme il convient, si l'amour est prêt à être servi." 
Antonio pourra mourir en paix, sa famille était là, toute sa famille, Tante Palma est heureuse là-haut.

Le pilier du livre c'est tout de même Tante Palma, un peu artiste, un peu philosophe, toujours de bon conseil, elle sait consoler, encourager, un personnage vraiment attachant. Elle sera toujours celle qui relie tous les personnages du livre. Jamais mariée, elle aide sa belle-soeur et son frère. Elle disait qu'être célibataire n'était pas un état civil mais un état de grâce. Elle a du caractère Palma.

J'ai aimé le personnage de Bernardo, le petit-fils d'Antonio si attaché à son grand-père. J'ai aimé, enfin j'ai tout aimé. J'ai juste très envie que vous découvriez ce livre qui nous laisse un peu orphelin lorsque nous le refermons. Je l'ai caressé comme je le fais toujours lorsque j'ai aimé un roman, triste qu'il soit déjà terminé et pourtant j'ai fait durer, je lisais, je le posais pour ne pas aller trop vite.

Un vrai régal. C'est la vie, la mort, notre destin à tous, mais sans pathos, bien raconté.
"Me voici dans la cuisine allongé par terre." "Salut, je m'appelle Antonio."

Je vous le recommande vivement. Merci encore à Michèle pour son prêt, elle m'a dit "Je suis certaine qu'il te plaira, c'est pour toi, tu vas aimer." Elle ne s'est pas trompée.

Bye MClaire.



lundi 10 mars 2014

En finir avec Eddy Bellegueule

J'ai lu un livre de Christine Arnothy "Une question de chance" et un autre en tête des ventes en ce moment "En finir avec Eddy Bellegueule".
Très différents, vraiment différents, mais c'est cela qui rend la lecture passionnante.

Christine Arnothy est l'écrivaine de "J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir." Lu il y a longtemps, j'ai lu bien d'autres bouquins de cette auteure, des livres plus faciles, celui-ci fait partie des bouquins légers mais qui en même temps  amène des réflexions sur les difficultés de la vie à deux, surtout lorsque l'autre est noir et que l'héroine Nora est juive, indépendante, talentueuse, difficile de s'entendre sur les choses essentielles de la vie. Les unions mixtes ne sont pas toujours des réussites, différence de culture, ce n'est pas une question de couleur, simplement une question de structure intérieure, l'amant africain ne peut pas comprendre les désirs de Nora. Elle finira par rompre.
Elle rencontrera celui qu'elle attendait, un blanc qui la comprendra et qui acceptera l'adoption de deux enfants noirs. Elle pensait que tout serait facile en ayant enfin des enfants à aimer, ce ne sera pas le cas, les enfants se murent dans le silence, trop de différence, trop d'argent, eux qui arrivent d'un pays en guerre, eux qui n'avaient rien regardent ce monde qui les entoure sans parler. Ce sera l'ancien amant africain qui trouvera la solution pour que ces enfants acceptent enfin de communiquer.
A mes yeux le seul  intérêt de ce livre est qu'il parle du racisme et de la religion. Cela ne restera pas un souvenir impérissable de lecture.



Tous les gens qui aiment lire connaissent l'histoire de ce bouquin, on en parle beaucoup en ce moment, il y a même des polémiques qui sont en train de surgir.

Nous recevons un vrai coup de poing à la lecture de ce livre. Un autre monde, celui de la France profonde. J'ai souvent eu l'impression de lire un récit écrit dans les années 50, non, cela se passe dans notre monde, celui d'aujourd'hui. Ce livre est dérangeant parce qu'il nous fait découvrir un univers que nous ne connaissons pas, un univers à la Zola. J'étais presque surprise lorsqu'il parlait des téléphones portables, jusqu'au moment où je réalisais que l'histoire se déroule à notre époque.
C'est un livre autobiographique, l'auteur a 21 ans, il est actuellement un brillant étudiant en philosophie.
Cela se passe dans un village de Picardie, un village d'où personne ne part, se rendre à quinze kilomètres est déjà une expédition. Il y a une maison qui devient une ruine où l'odeur de frites règne à longueur de temps, le père qui se retrouve au chômage, qui boit mais qui ne veut pas frapper sa femme et ses enfants parce qu'il a lui même souffert de la violence de son père, ce qui ne l'empêche pas d'être violent en paroles.
Eddy est un enfant de dix ans un peu différent, efféminé, la voix haut perchée, il est la risée des jeunes, se fait battre à l'école par deux jeunes qui le traitent de tous les noms, il ne dit rien, accepte les coups, il souffre de cette différence et ne pense qu'à une chose devenir un vrai dur comme les hommes de ce village obsédés par l'idée de ne pas être des pédés. Dans ce village les hommes sont des dominants et les femmes subissent. 
Il y a aussi l'omniprésence de la télé qui fonctionne à longueur de journée, ça fait un bruit de fond la télé. La journée n'avait de sens qu'en attendant "La roue de la fortune" autour de quelques verres de pastis, les bouteilles défilaient.
Je continue à ne pas comprendre que l'argent manque pour le nécessaire et pas pour l'alcool, les cigarettes, c'est toujours une interrogation chez moi.

Eddy n'arrive pas à trouver sa place dans ce monde, un seul rêve fuir.
Il sera admis au lycée à Amiens, il adore le théâtre et sera l'élève d'une classe où il pourra exercer sa passion, ce sera l'occasion pour lui de fuir cette famille où le manque d'argent est permanent, où la misère règne, où le seul fait de prendre une douche crée des disputes, on se lave dans la même eau que les autres. 
Eddy comprend qu'il devra se construire contre les autres, ne pas chercher à devenir ce vrai dur qu'il n'est pas., celui qui casse "du pédé et du bougnoule" à longueur de temps, même si dans ce village il y a très peu d'étrangers.
C'est une chronique de la haine ordinaire. C'est aussi une chronique sociale.
Un roman très fort, il y a des passages un peu difficiles à lire parce que nous n'imaginons pas que cet univers puisse exister. Le langage est souvent cru, les phrases prononcées dans la famille sont écrites en italique. Des paroles très dures à entendre par un petit garçon qui lui même se pose des questions sur ces intonations féminines, sa voie aiguë, ses manières de parler avec des grands gestes. Toute la souffrance de cet enfant est difficile à accepter.

"comment il parle l'autre, pour qui il se prend. Ça y est il va à la grande école il se la joue au monsieur, il nous sort sa philosophie".

"C'est un mec oui ou merde?Il pleure tout le temps, il a peur du noir, c'est pas un vrai mec.Pourquoi? Pourquoi il est comme ça? Pourquoi? Je l'ai pourtant pas élevé comme une fille, je l'ai élevé comme les autres garçons. Bordel de merde."

" ça n'a pas été trop dur, parce que je suis une bonne reproductrice, je suis quand même tombée enceinte alors que j'avais un stérilet, et j'ai eu des jumeaux, alors bon, et ça reste entre nous, mais ton père il a un sacré engin" 
Une mère qui parle de cette façon à son enfant, c'est ignoble.

Le style d'écriture de ce livre est simple, facile à lire mais ponctué par instants de réflexions philosophiques. 

Il y a tout de même des moments de tendresse, enfin comme on peut l'être dans cette famille, avec des mots, ceux qu'ils savent prononcer et ça ne dure jamais longtemps.

J'ai un peu regretté de ne pas lire quelques pages sur la vie actuelle d'Eddy qui a décidé de rompre complètement avec son passé en s'appelant Edouard Louis.

Ce jeune homme de 21 ans a certainement un grand avenir dans la littérature.


Bye MClaire.