dimanche 23 novembre 2014

"Pour seul cortège" Laurent Gaudé.


Laurent Gaudé, Goncourt pour le "Le soleil des Scorta". Je lis très peu les Goncourt mais celui-là oui et il était éblouissant.



L'auteur a écrit un roman épique, la fin d'Alexandre le Grand, sa mort, les trahisons de ses généraux, le partage de son empire et surtout il a fait de Dryptéis un personnage de femme magnifique. Dryptéis est la femme du frère d'Alexandre Héphaeston et la fille de Darius. 

Le livre débute par les premières douleurs d'Alexandre, pendant un banquet à Babylone, une douleur aiguë qui lui vrille le ventre, il se redresse, boit beaucoup et se met à danser jusqu'à épuisement, il s'écroule, on le transporte dans sa chambre, forte fièvre, lente agonie. Certains pensent qu'il a été empoisonné et d'autres qu'il a été victime d'un virus du Nil Occidental, une zone marécageuse.

Dryptéis s'est retirée du monde après la mort de son mari, elle vit au milieu des prêtres face aux hautes montagnes d'Arie, là où tout est immobile, elle vit là avec son petit garçon de quatre mois qu'elle a eu avec un berger, loin de toutes les intrigues. Sa vie va de nouveau être bouleversée, on la demande à Babylone, elle doit y aller, quitter ces prêtres qui chaque matin jettent une poudre jaune précieuse, du safran pour contenter les dieux. Quitter cet endroit où son enfant ne connaît que le silence, elle voudrait tant qu'il grandisse dans la paix, loin de cet Empire qui dévore tout, elle voudrait qu'il vive tout simplement, que personne ne sache qu'il est le fils de Dryptéis, cette princesse, fille de Darius, l'homme qu'Alexandre a vaincu.
Le destin veut qu'elle retourne vers Alexandre, elle se rendra à son chevet avec son fils, mais en cours de route la vieille Sisygambis la regarde et lui dit "Si tu y vas nue, ils ne pourront rien te prendre". Nue, cela veut dire sans son fils, elle doit le confier à la femme qui s'occupe de lui qui retournera vers les montagnes d'Arie et le confiera à une famille de bergers. Déchirement, son coeur de mère saigne mais elle doit le faire pour sauver son fils.

A Babylone elle retrouvera sa soeur Stateira, enceinte d'Alexandre, une femme qui connaîtra une fin de vie cruelle, étranglée alors qu'elle porte un enfant...

Je vous laisse découvrir la suite.

J'ai tout aimé dans ce roman que j'ai lu avec passion, j'aime l'histoire, l'antiquité, Alexandre le Grand était pour nous en cours d'histoire un personnage de roman, nous pouvions l'imaginer, blond, frisé, fort, transportant ses troupes jusqu'à l'Indus, ne faiblissant jamais.
L'écriture de Laurent Gaudé est précise, chaque mot, chaque passage ont dû être analysés pour nous éblouir. J'ai aimé Dryptéis cette femme qui entre en résistance contre un pouvoir qu'elle déteste, trop de sang, de lutte.

"Il est une chose qui reste solide, aussi solide que la puissance des montagnes, c'est le chant des femmes endeuillées.

La majorité des femmes n'aiment pas la guerre, elles ne veulent pas que les enfants qu'elles ont portés, élevés soient sacrifiés pour satisfaire la folie des hommes. C'est vrai ll y a la légende des Valkyries ou Walkyries, mais ce sont des légendes

Les dieux, les offrandes, les croyances, cet homme Ericléops décapité qui surgit au milieu d'une armée de morts pour faire reculer l'armée maurya, ils y croient.
Il y a la vie, la mort, la légende, la difficulté d'échapper un destin. Roman magnifique, il est vendu en poche chez Babel qui publie toujours des livres de qualité.

"Dis, pourquoi est-ce que des hommes et des femmes savent si bien écrire, comment font-ils pour nous entraîner dans leur imagination au point que nous n'entendons plus ce qui se passe autour de nous, scotchés sur un canapé en oubliant le temps qui passe" ça c'est moi qui l'écrit.

Laurent Gaudé est le Racine de notre époque.

Bye MClaire.




vendredi 14 novembre 2014

Jeanne Benameur "ça t'apprendra à vivre" - "Les réputations" de J.G Vasquez.



Je suis allée à la FNAC, je voulais acheter "Constellation", je n'avais pas trouvé ce bouquin chez Leclerc, ni chez Carrefour, épuisé certainement, il était sur les rayons à la FNAC, à l'entrée et dans le magasin, il doit bien se vendre. Je suis un peu contrariante, je le voulais et puis finalement non, je n'en voulais plus, j'ai préféré acheter le dernier Laurent Gounelle, j'aime cet auteur "Le jour où j'ai appris à vivre", Gounelle a une passion pour la philosophie, la psychologie, le hasard, la découverte de soi, j'ai lu trois livres de cet auteur et j'ai toujours aimé.
Comme à chaque fois je flâne dans les rayons, je touche les bouquins,  je les ouvre, je parcours, je repose et mes yeux se sont posés sur le livre de Jeanne Benameur "ça t'apprendra à vivre". 
Hasard, deux livres avec le mot VIVRE dans le titre.
C'est un livre de poche, un petit livre 112 pages, des paragraphes courts, je l'ai lu en deux heures avec une émotion que vous ne pouvez pas imaginer, ce n'était pas tout à fait ma vie lorsque j'étais enfant mais beaucoup de similitudes.

Jeanne Benameur est née en Algérie d'une mère d'origine italienne, le nord de l'Italie, blonde aux yeux bleus et d'un père arabe, cette alliance avait dû être difficile à vivre, il y avait très peu de couples mixtes, cela ne pouvait être qu'une "vie entre-deux" entre deux religions, deux familles différentes, des coutumes différentes. La guerre d'Algérie ne facilitait pas les choses, le père de Jeanne était chef de prison, l'OAS le menaçait, un soir tous les harkis qui protégeaient la prison ont été égorgés, un soir chez nous les fellaghas cognaient à toutes les portes et aux fenêtres, les militaires appelés en renfort ont tiré sur une forme blanche devant notre porte, des rafales de mitraillette.
La famille doit "s'exiler" rejoindre la métropole, une ville sur l'Atlantique, un appartement de fonction vieillot "Et nous on doit fonctionner avec" comme nous, mes parents ont toujours habité des appartements de fonction sans confort, la France, la pluie, l'humidité, le soleil qui manque, l'hostilité des autres. Le père rêve d'une maison à Saint-Raphaël, il en parle, une maison de famille "Elle vient de sortir de terre, de ta bouche. Papa tu mens, nous n'avons rien, ni ici, ni ailleurs, rien que nos mots. Pas de pierres pour faire de vrais murs. Pas d'herbe pour un vrai jardin. Rien. Nous n'avons jamais eu de maison à nous".

Sa mère a du mal à s'habituer à cette vie, comme la mienne lorsque mon père a été nommé à Béthune, cela devait être pire que La Rochelle, ma mère perdue qui avait mis des vieux chiffons dans une malle pour faire les vitres en arrivant, et avait tout laissé en Algérie pensant récupérer son déménagement qui n'est jamais arrivé. Quelle drôle d'idée que ces chiffons, mais ceux qui ne savent pas combien c'est dur de devoir choisir entre ce qu'on laisse et ce qu'on prend avec nous ont sans doute du mal à comprendre.

La mère de Jeanne ne regardait jamais sa fille, ou très peu, c'est la dernière des quatre enfants, la petite est clairvoyante, elle entend, elle voit, elle comprend, très tôt elle a su lire et écrire, les mots sont pour elle une sorte de liberté, elle écrit.
Petite elle résistait à deux choses, boire son café au lait avec une peau qui s'est formée parce qu'elle attendait trop longtemps, comme moi, je n'aimais pas le goût du lait de ferme "Allez bois" disait sa mère les mains sur les hanches, ma mère faisait la même chose, Jeanne ne voulait pas manger du beurre, je ne voulais pas manger des fèves "à l'étouffée", je résistais pendant des heures en promettant de vomir comme elle.
Jeanne avait peur des oiseaux, les becs des oiseaux la terrifiaient, comme moi. Voilà, j'ai compris pourquoi je n'aime pas tenir un oiseau dans ma main, ce sont les becs qui me terrifient.

Le livre se termine sur ces phrases "Un jour du mois de février, sous la pluie, on a creusé, on a enfoui.
Mais je ne peux plus perdre l'endroit.
Le nom de mon père est gravé sur la plaque".

Le nom de mon père est aussi gravé sur une plaque dans un cimetière bien loin de l'endroit où il est né, mais ce n'est qu'une urne qui est là, dans le mot horrible de "cavurne" une cave. Pour moi, l'incinération n'est pas l'enfermement, je refuse, plus tard, le plus tard possible je veux rester sur la terre, pas dans la terre, je n'accepte pas l'idée d'être enfermée..

J'aime beaucoup l'écriture de Jeanne Benameur, un peu sèche, des phrases courtes mais elle sait faire passer beaucoup de sentiments en très peu de mots. J'avais lu il n'y a pas très longtemps "Les insurrections singulières" j'avais écrit une gazette ici

Ce livre est une belle découverte, je suis contente d'avoir laissé mes yeux traîner le long des rayons de la Fnac.





Très beau livre sur la mémoire, sur le pouvoir des caricaturistes, le petit dessin qui paraît chaque jour dans un journal et qui peut détruire une réputation.

Cela se passe en Colombie, le pays de Rendon un caricaturiste célèbre qui s'est suicidé à l'âge de 37 ans. 
Javier Mallarino est dans le roman un caricaturiste célèbre, il a tous les honneurs, tout le monde le craint, ses armes, de l'encre de chine et du papier. Il est menacé, il perd sa femme qui préfère partir avec leur fille, trop d'orgueil, il est connu, il aime ce sentiment de puissance, elle ne supporte plus.
Un jour un fantôme du passé surgit Samantha Leal, une copine de sa fille qui était venue fêter l'anniversaire de son amie, il se passe une chose effroyable pendant cet anniversaire, les gamines vident tous les fonds de verre, ivres, elles sont allongées dans une chambre en attendant qu'elles dessoulent. Pendant la fête un député arrive chez Mallarino pour lui demander d'arrêter de le caricaturer, ses enfants n'en peuvent plus, sa famille souffre. La fête continue et l'irréparable ce produit, les invités voient le député descendre l'escalier, il a apparemment violé une des fillettes, Samantha. Le lendemain sa caricature est dans le journal avec une phrase " Adolfo Cuellar, député : Laissez les petites filles venir à moi". Il finira par se suicider.
C'est là que la mémoire intervient, est-ce que Javier se souvient vraiment de tout lorsque Samantha Leal vient lui demander de lui raconter cette soirée, elle veut savoir. La mémoire est faillible, nous pouvons inventer le passé.

Je m'arrête là, vous devez lire ce livre parce qu'il nous ramène à notre époque actuelle, à l'heure où la sphère publique et la sphère privée se mélangent. Nous savons tout, un dessin, un clic peuvent détruire des vies, des réputations.

Bye MClaire.




jeudi 6 novembre 2014

L'homme sans maladie - Arnon Grunberg.



Eric Reinhardt "L'amour et les forêts" n'a eu aucun prix, je considère ça comme une injustice, il a été souvent nominé mais jamais élu, il ne reste plus que le Goncourt des lycéens qui peut être me confortera dans mon idée, c'est le plus beau prix, ils sauront reconnaître que le livre de Reinhardt mérite d'être désigné, c'est le 18 novembre à Rennes. Attendons.

"L'absurdité est surtout le divorce de l'homme et du monde." Camus.
Une citation de Camus que j'ai trouvée sur le net, elle définit parfaitement le livre.

J'ai lu "L'Homme sans maladie", j'ai aimé, je l'ai lu doucement, il mérite que l'on s'attarde sur chaque ligne, bien écrit,  l'histoire de cette homme est passionnante.
L'homme lui même n'est pas passionnant, lisse, sans émotion visible, Sam est Suisse, il habite à Zurich, son père est indien, sa mère est Suisse, il fait tout pour gommer ce métissage. Sam a une soeur Aida, elle est atteinte d'une maladie musculaire dégénérative qui la cloue sur un fauteuil roulant, Sam aime s'occuper de sa soeur, lui laver les cheveux, lui parler, il est le pilier de la famille depuis que son père est mort.

Sam est architecte, il dira souvent dans le bouquin "Je suis architecte, je suis neutre, je suis citoyen suisse". Il a une tendre amie Nina, il aime sans passion cette jeune fille qui a un fin duvet sous le nez, même sa sexualité est complètement dénuée d'affection. Il n'est jamais malade, un homme sans maladie, ni physique, ni mentale.
Il est associé dans son cabinet d'architecte avec Dave. Un jour, ils reçoivent une commande d'un dénommé Hamid Shakir Mahmoud qu'ils ne verront jamais, il veut faire construire un opéra à Bagdad où les habitants de cette ville pourront écouter Puccini, Bagdad ville de tous les dangers où chacun se méfie de son voisin.
C'est à ce moment là que nous basculons dans l'absurde; Sam part à Bagdad pour rencontrer le commanditaire de l'opéra, il ne le verra jamais. Avant de partir Nina sa petite amie a mis un ruban vert à sa valise pour qu'il pense à elle, à l'aéroport il ne retrouve pas sa valise sur le tapis roulant, il la retrouve un peu plus loin mais s'apercevra plus tard que ses habits n'y sont plus, remplacés par d'autres affaires de mauvaise qualité, sales, Sam est bouleversé par cette découverte, lui qui est obsédé par la propreté.
Il se retrouvera très vite dans une situation critique, en un rien de temps il est prisonnier dans les cellules de l'Etat, déshabillé, attaché, on l'appellera "Chien" et on lui pissera dessus. Il en réchappera mais prendra goût à cette cruauté et demandera à Nina de lui pisser dessus dans le bac à douche avant de faire l'amour.

Sam ne comprendra pas que le monde est en train de changer, il acceptera de repartir pour Dubaï, l'Emir veut y construire une immense bibliothèque avec un bunker. Ce pays est en apparence paisible, qu'en apparence....Il y a beaucoup de cafards dans l'appartement de Sam à Dubaï, bizarrement il s'adaptera.... Son destin sera en marche.
"Tel un Kafka contemporain, Arnon Grunberg entraîne son héros, naïf et idéaliste, à travers des tribulations grotesques et cruelles, pour mieux le réduire en cafard d'une dérisoire comédie humaine".

Je vais vous laisser découvrir la suite de l'histoire si vous avez l'intention de lire le roman.

Il y a de très beaux passages sur le métier d'architecte, sur la conception d'un bâtiment.

Ce roman est la description de la condition humaine, beaucoup de noirceur mais aussi un peu d'humour. Il faut se laisser entraîner dans cet univers grotesque, violent..

Pendant ma lecture je me disais "ce livre me fait penser à un autre livre", c'était l'Etranger de Camus, le personnage est aussi imperméable aux sentiments que Meursault "un homme pauvre et nu". Il semble que ce soit aussi l'univers de Kafka, mais je ne peux pas juger, je n'ai jamais lu Kafka, juste des extraits, Kafka et Proust des auteurs oubliés par moi....

J'ai aimé lire ce roman dérangeant, corrosif. Merci à Augustin Trapenard de l'avoir recommandé.

Bye MClaire.