jeudi 29 octobre 2015




Yasmina Khadra, pour moi un des plus grands écrivains de notre époque. C'est un homme, il a pris les deux prénoms de sa femme pour publier ses livres au moment où la censure régnait en Algérie, il était militaire et ne voulait pas d'ennuis avec ses supérieurs, son vrai nom est Mohammed Moulessehoul.
"Pour l'anecdote, le pseudonyme de l'écrivain est dû à une bévue d'un éditeur qui a déformé le prénom Yamina en Yasmina, croyant que l'épouse de l'écrivain avait omis un « s ». La bienveillante dame, sans demander l'avis de son mari, en service commandé à cette époque, signa l'aval à l'éditeur pour publier les œuvres de son mari, et évita ainsi les mailles des services militaires chargés de la censure qui avaient déjà averti M. Mohammed Moulessehoul, capitaine à l'époque, en signant Yamina Khadra qui mua en Yasmina Khadra. C'était en 1990" (Wikipédia)

J'ai lu huit livres de cet auteur, le plus beau "Ce que le jour doit à la nuit", celui que j'ai le plus aimé. Ma copine Malou m'avait offert lorsque j'étais à l'hosto "L'olympe des infortunes", mon chirurgien qui était un grand lecteur s'intéressait à ce que je lisais, il ne connaissait pas cet auteur et m'avait promis de le lire, il a pris sa retraite, il a tout son temps pour le faire, je vous encourage aussi de le découvrir (pas mon chirurgien, non, l'écrivain), vous ne le regretterez pas.
"Les sirènes de Bagdad" "L'équation africaine", que des très beaux romans. Ils sont en poche.

Quatrième de couverture :
 Longtemps j’ai cru incarner une nation et mettre les puissants de ce monde à genoux. J’étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd’hui, je n’ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence. Lequel, du visionnaire tyrannique ou du Bédouin indomptable, l’Histoire retiendra-t-elle ? Pour moi, la question ne se pose même pas puisque l’on n’est que ce que les autres voudraient que l’on soit. »

En écrivant "La dernière nuit du Raïs" dans un style toujours aussi flamboyant, Y.Khadra accomplit un tour de force, il se met dans la tête du dictateur, "Je" est Kadhafi, ce dictateur mégalo, cruel, un barbare sanguinaire. Le peuple, son armée lui mangeaient dans la main, les mêmes s'apprêtent à le tuer avec l'aide des occidentaux. Khadra nous fait vivre sa dernière nuit.
Il nous fait aussi découvrir son enfance, un mot revient souvent, bâtard, ce mot a sans doute conditionné toute sa vie. Kadhafi était l'enfant d'une bédouine et d'un soldat corse blessé pendant la guerre dans le désert de Libye, un aviateur. Le silence régnait dans la famille,  lorsqu'il posait des questions, son père était mort et l'enfant voulait savoir. Un jour il a su.
"C'est vrai que je suis un bâtard, la pisse d'un fumier de corse qui passait par ici?"

Khadra  essaie de nous faire comprendre que Kadhafi n'était pas qu'un monstre sanguinaire, il a fait beaucoup pour son pays, a fait construire des hôpitaux, des routes, des logements, tous les maghrébins l'aimaient au début de son "règne", ils plaçaient beaucoup d'espoir en lui, ils ont été déçus par la suite, cet homme pensait que la violence était une nécessité, il se croyait investi "d'une mission méssianique". Ses proches le confortaient dans son délire :
"Sans vous, les tribus déterreraient la hache de guerre qui dormait sous des siècles de rancoeur, de vengeances inassouvies et de trahisons impunies. Il y aurait autant d'Etats que de clans. Le peuple que vous avez rebouté retrouverait intactes ses fractures..."
Nous connaissons la suite de l'histoire, ils avaient raison, ce pays est à feu et à sang. 

C'est le récit d'un homme grisé par le pouvoir et le pouvoir peut être démoniaque. Il prenait régulièrement de l'héroïne, s'imposait aux femmes, pouvait les séquestrer pour mieux en abuser. Sa fin dans un grosse canalisation de drainage agricole est pitoyable et Khadra lui fait entendre la voix de sa mère excédée par les turbulences de ce gamin instable :
"Tu n'écoutes que d'une oreille, celle que tu prêtes à tes démons, tandis que l'autre reste sourde à la raison.." Sa folie.

Lisez ce livre qui veut nous faire découvrir les ressorts les plus intimes d'un être humain qui se transforme en tyran, 206 pages à dévorer. Bye MClaire.




jeudi 22 octobre 2015

Carole Martinez "La terre qui penche"




Carole Martinez est née le 10 novembre, comme moi, mais pas la même année, en 1966, elle se destinait au théâtre, a été prof avant de devenir écrivaine.
Elle a publié trois livres, un vrai succès.
J'avais adoré "Le coeur cousu" une découverte, son écriture, son imagination.
Beaucoup aimé "Du domaine des murmures"
J'ai aimé "La terre qui penche" sans retrouver cet emballement qui m'avait saisie en lisant "Le coeur cousu". J'ai aimé, point.
Pour aimer ce livre, il faut rentrer dans son univers où les mots nous ouvrent des périodes de notre histoire, où les personnages peuvent être attachants ou odieux, où le conte le mêle à la réalité, lire doucement pour savourer.
Je ne suis pas certaine que ce roman puisse plaire à tout le monde, l'imagination de chacun est différente.

J'ai toujours aimé lire des bouquins qui traitaient du Moyen-Âge, à mon avis une période charnière de l'histoire , les bâtisseurs, les croyances, les joutes, les amours des seigneurs, la peste qui détruit tout et la vie qui reprend, les innovations technologiques pour de meilleurs rendements. Cette période est celle qui a ouvert la voie à la Renaissance. J'ai lu pas mal de livres écrits par Jeanne Bourin, elle savait nous passionner, nous faire aimer le Moyen-Âge.

L'histoire de Blanche, cette petite fille aux cheveux rouges, élevée par son père, sa mère est morte à sa naissance, est 
celle d'une enfant morte à 12 ans, mais est-elle vraiment morte? C'est peut-être tout simplement son enfance qui disparaît, pour laisser place à la femme. 
Cette vieille dame morte depuis des siècles raconte du fond de son tombeau l'histoire de Blanche, la sienne.
Blanche est une enfant rebelle, elle voudrait s'instruire, lire, écrire, son père ne veut pas. S'instruire était interdit aux femmes, ça ouvrait la porte à la désobéissance, aux questions, c'était ouvrir la porte au diable qui pouvait s'emparer des âmes.
Nous ne sommes plus au Moyen-Âge et pourtant il y a encore des hommes qui interdisent aux femmes de s'instruire. Trop dangereux. Les hommes sont-ils si peu sûrs d'eux?

Blanche sera promise à Aymon, le fils d'un autre seigneur, ils sont jeunes, elle a quelques années pour mieux connaître sa future famille, elle est conduite dans leur château. Un château où elle apprendra enfin à lire et à écrire, Eloi le charpentier lui dit souvent "Oh! Blanche qui saura bientôt lire."

Aymon n'est pas un enfant comme les autres, j'ai adoré ce personnage si bien décrit par l'auteure, fragile, émouvant, sans aucune méchanceté, innocent, il joue du pipeau, se réfugie dans les arbres, aime les chiens, devient un chien pour partager ses jeux avec eux. Un enfant retardé mais tellement beau, son père l'aime d'un amour infini, si vous lisez la page 173 de ce livre, vous ne pouvez pas rester insensible, une déclaration d'amour d'un papa à son fils, c'était rare à cette époque, les hommes allaient à la guerre, à la chasse, n'assistaient jamais aux naissances.

Il y a aussi la rivière la Loue qui tient une grande place dans le roman. Elle peut être meurtrière ou enjôleuse, ses méandres sont paresseux, mais peuvent être mortels. C'est là que Blanche rencontre la Dame Verte.....
La terre qui penche vers la rivière.

La douleur de grandir, rester le plus longtemps dans le monde merveilleux de l'enfance.

Un cheval qui s'appelle Bouc et qui aurait dû s'appeler Terre.

La condition des femmes à cette époque, tout au long du bouquin elle est là en filigrane.

Il y a des petits cailloux laissés là pour nous ramener vers les contes de notre enfance, nos terreurs, les petites filles en rouge, l'ogre sur son cheval, la cuisinière qui confectionne des merveilleux  gâteaux pour ses petites filles en rouge qui ne sont plus de ce monde mais qui le hantent toujours, etc.

Que dire de plus? Vous serez les seuls juges. Il m'est très difficile de vous recommander ce livre, êtes-vous prêts à rentrer dans le monde imaginaire de Carole Martinez? Je suis entrée dans ce roman et j'ai aimé, encore une fois sans ressentir l'émotion du "Coeur cousu", si vous ne l'avez jamais lu, il faut.  Bye MClaire.



mardi 13 octobre 2015

OTAGES INTIMES - Jeanne Benameur.




J'ai lu plusieurs romans de cette écrivaine, le merveilleux "Profanes" qui s'attaquait déjà à la vie et à la mort. J'avais écrit une gazette pour "Les insurrections singulières" elle est ICI
Jeanne Benameur est née en Algérie en 1952, d'un père algérien et d'une mère italienne. Elle a été professeur avant de devenir écrivaine, elle vit ou vivait à La Rochelle, elle continue à écrire des beaux romans.
Elle a une écriture très particulière, j'aime. Sensible, poignante, l'émotion toujours au rendez-vous, souvent très pudique.

L'histoire de ce livre :

Etienne est photographe, il parcourt la planète, les pays en guerre pour saisir le moment qui fait basculer une vie. Dans un pays lointain livré à une guerre où l'on ne sait plus qui est qui il photographie, un jour il y a la seconde de trop, il fallait qu'il se mette à l'abri mais une femme et des enfants s'engouffrent dans une voiture, un homme est affaissé sur le siège, est-il mort? Etienne regarde, une voiture s'arrête et il devient l'otage, bandeau sur les yeux il est jeté dans une pièce, il ne sait pas où il est, le temps n'a plus de signification, les geôliers sont ses maîtres, il ne doit pas parler, rien savoir. Pour ne pas sombrer il se remémore un morceau de musique qu'il jouait avec Enzo et Jofranka, la musique est sa bouée. 
Enzo travaille le bois, Jofranka "la petite qui vient de loin" est avocate à La Haye, elle défend les femmes qui subissent la barbarie des hommes. Ces trois là étaient inséparables lorsqu'ils étaient enfants, Jofranka vivait en famille d'accueil mais sa vraie famille c'était eux, elle passait son temps chez Irène la maman d'Etienne, Irène l'institutrice qui avait perdu Louis le père d'Etienne, un navigateur disparu en mer et jamais retrouvé.
Ils vivent là dans ce village si calme, loin de la fureur du monde, plus tard seul Enzo restera, il s'était marié avec Jofranka mais elle le quittera.

Un jour, c'est la libération, Etienne retrouve sa mère sur le tarmac, dans la foule il y a Emma avec qui il a eu une histoire d'amour, une vraie histoire d'amour mais elle ne supportait plus ses départs, l'attente, toujours l'attente et l'angoisse, cette attente destructrice. Ils se sont séparés. Il ne voulait pas être attendu. Elle lui écrira plus tard pour lui expliquer, pas pour le reconquérir.

Après l'euphorie du retour vient le moment où il faut vivre avec les cauchemars, les souvenirs, les scènes d'horreur enregistrées par sa rétine de photographe.
Tous les otages sont unanimes, ce retour est terrible, les autres ne peuvent pas savoir. Ce retour à la vie est très fragile, les mots ne guérissent rien.
"Les objets, les gens sont bien les mêmes. L'étranger c'est lui."
Etienne est retourné vivre chez sa mère, la douce et forte Irène "C'est sa verticalité qui a toujours fait taire chacun dans sa classe de campagne, ou dans les pires moments de sa vie quand en la voyant passer, on cessait de se plaindre." Etienne retrouvera son village, la nature, la rivière, et ses deux amis...Est-ce que cela suffira pour faire taire ses souffrances?
J'ai retenu cette phrase :
"Est-ce que chaque bonheur n'est pas là pour créer l'espérance du suivant?"
Je ne vais pas plus loin, vous lirez ce roman, je ne veux rien dévoiler de plus.

J'ai beaucoup aimé ce livre. J'ai aimé l'amour de cette maman pour son enfant, l'amour inconditionnel d'une mère pour ses enfants, se sentir libre lorsque nous savons que nos enfants sont heureux, "Comment berce t-on un homme qui a derrière les paupières toutes les atrocités."
La souffrance d'un enfant élevé sans son père qui préférait courir sur toutes les mers, une souffrance si bien écrite.
Il y a la musique qui sauve.

Au moment où je lis j'aime savoir que l'auteur a écrit pour lui et pas pour nous, les mauvais écrivains écrivent en fonction de leurs lecteurs, ça ne donne jamais de beaux romans. Jeanne Benameur fait partie des écrivains qui s'interrogent sur le sens de la vie à son rythme un peu lent.

J'espère que vous aimerez ce livre autant que moi.

Bye MClaire.




jeudi 8 octobre 2015




183 pages. Je l'ai lu. Je vais aller à contre-courant des critiques, me dissocier des autres lecteurs.
J'aime beaucoup Eric-Emmanuel Schmitt, je lis ses romans dès qu'ils sortent, certaine de passer un excellent moment, c'est un auteur érudit, une écriture riche, imagée, un peu philosophique, il est philosophe de formation, vous ne pouvez pas ne pas aimer "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran" ou "Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus" et bien d'autres bouquins
Là, je suis désolée, j'étais pressée de finir ce bouquin, mais paradoxe je le lisais doucement pour comprendre, je n'avais sans doute pas envie de me poser des questions sur mon propre parcours, une enfance et une adolescence très chrétienne, trop chrétienne, imposée, plus rien après, je n'ai plus la foi. Je crois, sans doute avec innocence, que quelqu'un me protège, mais ce quelqu'un a le visage tantôt de mon père, tantôt de ma grand-mère, je reconnais qu'il m'arrive dans un moment douloureux de sentir remonter en moi mon éducation catholique, mais c'est très bref, je pense aussitôt "Quelle hypocrisie, tu ne pratiques pas." Tout ça est très complexe et souvent dérangeant
.
La révélation de la foi en Dieu dans le désert, je n'y croyais pas. Le désert est toujours un parcours initiatique pour de nombreuses personnes, pour d'autres pas du tout.
La présence de l'ermitage de Charles de Foucauld à Assekrem, ce noceur qui avait reçu la révélation mystique un jour d'octobre dans l'église Saint-Augustin à Paris, a peut être influencé l'esprit de l'auteur, il n'avait que vingt-huit ans, un âge où tout est encore perméable.
Je crois l'auteur qui a perçu ce feu alors qu'il était perdu dans le désert, mais que Dieu se révèle à lui en une nuit, je reste sceptique, il l'écrit aussi "Ce récit s'il ébranle certains, ne convaincra personne..J'en suis conscient. J'en souffre.."
ou "La perspective de quitter le Hoggar me fragilisait. A mesure que le temps passait, que le mont Tahat s'éloignait, je portais un regard critique sur ma nuit étoilée.. Ne m'étais-pas emballé trop vite ? N'avais-je pas interprété de façon mystico-religieuse des phénomènes purement somatiques?
La soif, la faim, l'épuisement avaient affecté mon corps et m'avaient conduit au délire. Et ce bien-être absolu dont je gardais le souvenir, ne le devais-pas à mon hypothalamus qui avait secrété des endorphines?..."

J'ai quand même aimé sa tolérance envers les agnostiques, philosophiquement il demeure agnostique, mais à la question "Dieu existe-t-il?" il répond "Je ne sais pas" et ajoute "Je crois que oui." Il ne veut pas confondre croyance et science.

J'ai aussi lu avec un certain plaisir la description du désert, la découverte du monde touareg, le vocabulaire de l'auteur est tellement riche, pour un scrabbleur c'est une mine de mots.

Vingt-cinq ans se sont écoulés, Eric-Emmanuel Schmitt a toujours la foi, il est toujours aussi tolérant :
"En l'autre, je dois respecter d'abord le même que moi, celui qui voudrait savoir et ne sais pas ; puis au nom du même, je respecterai ensuite ses différences."

Une dernière chose, j'ai toujours pensé que l'auteur était bouddhiste, tant son visage reflète de la bonté, de la sagesse, un visage de lama du Tibet. Je m'étais trompée.

J'ai aussitôt entamé la lecture du livre de Jeanne Bénameur
"Otages intimes", j'adore.

Bye MClaire.

jeudi 1 octobre 2015

Un faux pas dans la vie d'Emma Picard - Mathieu Belezi.



Je n'ai pas cherché ce livre, il s'est offert à moi comme le précédent, chez Easy-Cash, quelle belle rencontre, ce roman et moi.
C'est un magnifique roman écrit par un homme qui a un style éblouissant. Ce bouquin est sorti en janvier, il aurait dû sortir en septembre, il aurait mérité le Goncourt, c'est mon avis.
J'avais lu "C'était notre terre" le premier de la trilogie qui avait été nommé pour le Goncourt en 2008 si je ne me trompe pas, je n'ai pas lu "Les vieux fous". Une trilogie qui commence par le départ des pieds-noirs "C'était notre terre" et qui se termine par l'arrivée des premiers colons en Algérie dans les années 1860 sous Napoléon III.

Inutile de vous dire que j'ai pleuré, l'histoire d'Emma et de ses quatre garçons est bouleversante. Le gouvernement français distribuait des concessions en Algérie à des paysans très pauvres, leur donnant l'espoir d'être riche un jour. Emma se voit attribuer vingt hectares de terre algérienne entre Sidi-Bel-Abbés et Mascara. Elle est alsacienne, veuve,  a quatre solides garçons à élever, elle n'hésite pas à partir. Elle débarque pleine d'espoir mais la réalité du terrain va très vite la rattraper. Ses économies fondent, la terre est aride, la ferme en mauvais état, pas d'eau de juin à septembre, seule une source loin de chez elle peut faire qu'ils ne meurent pas de soif et aide à arroser quelques légumes, ils iront la chercher tous les jours. L'été à l'intérieur des terres en Algérie est terrible, l'hiver assez court mais il fait froid, il neige. Le paludisme, la dysenterie tuent. Emma et ses enfants subiront les pires calamités, tremblement de terre, vol de sauterelles qui ravage tout, mais elle y croyait encore et encore. Il y a l'Arabe Mékika qui restera pour l'aider jusqu'à la fin, dévoué inconditionnel. 
"Et une imagination de pauvre ça construit des maisons très-grandes, des champs très-gras, des arbres très-nombreux, une imagination de pauvre ça vous fait prendre les vessies pour des lanternes comme on dit".

Heureusement, dans les pires moments Emma peut se reposer sur l'épaule de Jules, le mécréant, le révolutionnaire qui veut faire tomber Napoléon III. Emma est une femme encore jeune, elle a besoin de cet homme qu'elle aimera.

Le pire arrivera à cette maman courageuse.

On me dira sans doute ou peut être pas "Tu es concernée par ce roman, c'est la raison pour laquelle tu as tant aimé ce livre".
Evidemment que oui, je me sens concernée mais même si je n'avais pas aussi bien connu l'Algérie mon avis aurait été le même, un livre magnifique.

La famille paternelle de mon père était Béarnaise, j'ai vu sur internet qu'une concession avait été attribuée à Victor Crabos né à Tarbes, c'est tout ce que je sais, sa mère était d'origine alsacienne et savoyarde, mon père ne racontait rien, jamais, je sais que mon grand-père était officier de la santé maritime à Alger, ma grand mère élevait 11 enfants, c'est tout, ils sont morts bien avant que je sache poser des questions. C'est vraiment dommage. Pendant toute la lecture de ce livre j'ai pensé à ce béarnais qui découvrait l'Algérie.
Du côté de ma mère, ils arrivaient d'Espagne, de l'Andalousie et de Madrid dans les années 1830 sans doute. Pauvres et à peine plus riches lorsqu'ils repartis.
Mon arrière grand-mère racontait, ma mère aussi, les liens étaient plus resserrés avec ma famille maternelle. Une famille chaleureuse.
Il leur a fallu sans doute beaucoup de courage pour adopter cette terre d'Algérie qui ne voulait pas d'eux.

J'ai connu les calamités décrites mais dans un autre confort, à une autre époque. 

J'ai connu ce soleil qui grille tout, la fournaise d'Affreville, de toute la vallée du Chélif, Miliana était plus agréable, bâtie au pied du Zaccar.

J'ai connu le vol de sauterelles qui s'abat sur tout. C'était à Téniet-el-Haad, un après midi, un bruit, un nuage sombre qui dévore tout, les acacias n'avaient plus une feuille, les jardins dévastés.
J'ai connu le tremblement de terre d'Orléansville, terrible.

J'ai vu ma mère grelotter sous des tonnes de couvertures, une crise de paludisme est impressionnante pour des enfants.

Nos voisins très proches, les Pastou, étaient colons, ils racontaient le travail harassant de leurs parents pour enlever chaque pierre et faire pousser de l'orge ou du blé, leur ferme avait été brûlée par les fellagas, leur fils tué d'un coup de revolver dans la tête sur un trottoir de Téniet, la terre d'Algérie ne voulait pas d'eux, il fallait qu'ils partent. Ils ne comprenaient pas. Le gouvernement français faisait des promesses comme en 1860. 
Emma parle à son fils qui est mort :
"En attendant que tu veuilles bien te réveiller, mon fils, je raconte dans quel enfer on nous a jetés, nous autre colons, abandonnés à notre sort de crève-la-faim sur des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous".

Nous sommes partis en laissant une Algérie complètement différente, la colonisation prenait fin, l'ordre logique des choses. Nous n'accepterions pas d'être soumis à d'autres.
Une autre histoire commençait, elle devait se faire sans nous. Emma l'alsacienne a payé très cher le prix de cette colonisation, d'autres aussi.

Lisez ce livre qui est une tragédie, la voix d'Emma sort de son ventre ravagé, qu'y a t-il de plus terrible que de perdre ses enfants? "N'en veux pas à ta mère mon Joseph"
Emma ne croit plus en Dieu.
"Emma s'accuse d'avoir entraîné sa famille dans cet enfer, maudit les « terres de ténèbres » qui n'ont jamais voulu d'eux, dresse son poing vers le ciel : « Etait-il possible que le Dieu des chrétiens ait tourné le dos à son peuple colonisateur venu tout exprès en Bar­barie pour chasser le mal et le remplacer par le bien ? »
 J'ai lu je ne sais plus où qu'il y avait du Giono dans ce récit, c'est vrai.

 Bye MClaire.