mercredi 27 décembre 2017

"ÔR" d'Audur Ava Olafsdottir.






"Ör", j'ai lu "L'exception" "Rosa Candida" du même auteure, et toujours autant de plaisir à me plonger dans ses histoires.
"L'exception" était l'histoire d'un homme qui annonce à sa femme qu'il la quitte pour un autre homme. Tout s'écroule pour Maria.
"Rosa Candida" était un roman initiatique, une histoire très touchante, un bijou de tendresse, j'avais adoré.

"Toute souffrance est unique et différente, on ne saurait les comparer entre elles. Le bonheur en revanche est le même pour tous"

J'ai beaucoup aimé "Ör", un petit livre dévoré en quelques heures.
L'écrivaine au nom imprononçable nous décrit avec talent les moeurs islandaises, les blessures des âmes, sans pathos, avec sensibilité.

"Or" est l'histoire d'un homme qui pense arriver à un croisement de son existence, pour lui tout est fini, sa femme Gundrun est partie en lui révélant que sa fille n'est pas de lui, il a élevé Gudrun avec amour et continuera à aimer "son" enfant, Sa mère Gudrun perd la raison doucement, elle vit dans une maison de retraite. Trois Gundrun.

Jonas, la cinquantaine, a vendu son entreprise, vit seul chez lui, Gundrun sa fille est partie vivre sa vie, elle a l'âge, seul son voisin lui tient compagnie quelquefois, un voisin sympa mais un peu bizarre. Jonas est très bricoleur mais il ne sait pas réparer sa vie, il n'y arrive pas et décide de se supprimer, pour lui c'est la seule issue. Il range sa maison, met de l'ordre dans ses affaires, emprunte un fusil de chasse à son voisin, mais encore une fois il n'arrive pas à se décider, remet toujours à plus tard le moment où il partira. Comment épargner à sa fille la vue de la scène du suicide, il ne veut pas lui imposer la vue de son corps sans vie. 
Il prend une décision, partir dans un pays détruit par la guerre, en paix tout récemment mais qui subit encore les mines enterrées, le pays n'est pas sûr. Il espère ne pas avoir à accomplir le geste irrémédiable, la mort viendra d'ailleurs, presque naturellement.
Le nom du pays n'est jamais cité, j'a pensé à un pays de l'ex-Yougoslavie, mais peu importe.
Il prend l'avion, peu de bagages, une caisse à outils, il lui faut du matériel pour planter le piton qui retiendra la corde. Cette caisse à outils sera son bien le plus précieux, elle participera à sa renaissance, l'hôtel "Silence" verra sa résurrection..Il finira par faire connaissance de lui-même.

Ne pensez pas que ce roman est morbide, bien au contraire, il est plein d'espérance. L'auteure sait raconter avec douceur les plaies de l'âme qui deviendront "ör" qui veut dire cicatrices en Islandais. 

J'ai aimé May et le petit Adam son fils qui a perdu l'usage d'une oreille sous les bombardements, enfant sauvage qu'il faudra apprivoiser.
J'ai aimé Fifi, frère de May qui essaie de faire revivre l'hôtel Silence, heureux d'avoir trois réservations.
J'ai aimé ces femmes sans hommes morts à la guerre qui décident de rebâtir une maison mais surtout de se reconstruire. 
J'ai aimé l'idée qu'avec un rouleau de scotch et un tournevis on puisse penser réparer des objets et donner de l'espoir aux habitants d'une ville martyre. 

Nous pouvons vivre dans une société où nous avons tout mais être malheureux et trouver le bonheur là où tout manque.

Jonas n'avait pas serré une femme dans ses bras depuis huit ans et cinq mois.

"Le nombril est notre point central, notre milieu, autant dire le centre de l'univers. C'est la cicatrice d'une fonction qui n'est plus"

Je vous conseille ce très beau livre, un roman poétique.    Bye MClaire.









samedi 16 décembre 2017

"A l'ombre des cerisiers" Dörte Hansen



Une jolie couverture, "un petit miracle de livre", une note écrite à la main dans le rayon de chez Leclerc-Culture, une note qui disait le plus grand bien de ce bouquin, je l'ai acheté. Il est en poche et ce roman a été un best-seller en Allemagne.
Je l'ai commencé "pas mal, vraiment pas mal" mais il y a un mais, j'ai commencé à m'embrouiller en lisant les prénoms des personnages, pas habituée du tout à la littérature allemande, je confondais Hildegard et Bretta, Ida et Vera, Heinrich avec Hinni, en fait ils ne faisaient qu'un, Carsten et Karl-Heinz surgissaient dans l'histoire, Burkhard Weisswerth, le bobo de service, bref! j'ai eu beaucoup de mal à mémoriser les personnages et j'étais prête à mettre le livre de côté, cela aurait été dommage et Christian qui a des facilités pour prononcer la langue allemande, me reprenait. Le roman est aussi constitué en chapitres qui ne s'enchaînent pas, on revient en arrière, on repart en avant, c'est assez déroutant au début.
J'ai persisté, je n'aime pas laisser un bouquin en plan, il peut réserver des surprises, je n'ai pas eu tort, l'histoire est agréable à lire et plutôt émouvante, les difficiles relations entre une mére et sa fille, les blessures secrètes, les non-dits. J'étais finalement contente d'avoir lu ce livre jusqu'au bout.

L'histoire :

Hildegarde et sa petite fille Vera fuient la Prusse Orientale en 1945, un pays en ruines, il fait très froid, les gens meurent sur la route de l'exil, les mères épuisées pendent leurs enfants avant de se pendre elle-même, Hildegarde voit mourir son bébé dans son landau et le laisse au bord de la route, des scènes affreuses qui marqueront à jamais la petite fille Vera et qui transformeront Hildegarde en bloc de glace.
Elles se réfugient dans une vieille ferme en Allemagne près de Hambourg, dans une région de polders près de l'Elbe. Ida la maitresse des lieux leur offrira le coucher dans une pièce froide mais ne les nourrira pas :
-Il faudrait maintenant à ma fille quelque chose à manger, je vous prie.
Et Ida Eckhoff, forte de six générations de paysans du cru, veuve de son état et mère d'un soldat blessé au front, de riposter : "Moi, j'donne rien !"
Karl blessé, le fils d'Ida vit là avec sa mère, jambe droite raide, il a perdu un peu la raison, cauchemarde toutes les nuits, la guerre, la guerre, il surveille le ramassage des cerises assis sur son banc, Vera la petite fille s'en fera un allié, une infinie tendresse les réunira, Hildegarde deviendra la maîtresse des lieux et Ida mère de Karl préférera disparaître. 
Hildegarde prendra un amant, sera enceinte, accouchera d'une petite fille Marlène loin de la ferme et de Karl, Vera sera abandonnée aux bons soins de Karl. Il l'élèvera comme il pourra, elle héritera de la ferme, sera dentiste mais ne se mariera jamais, elle restera seule dans cette drôle de maison, jusqu'au jour où deux réfugiés se présenteront à sa porte, Anna et son petit garçon Léon, Anna est la fille de Marlène, demi-soeur de Vera...Elle vient de quitter son mari infidèle, meurtrie, elle a quitté le domicile conjugale pour laisser la place à l'autre aux ongles rouges. Le mari et la maîtresse voudraient qu'elle pardonne pour mieux vivre leur aventure, sans remords, ça elle ne peut pas !!
Les deux femmes, tante et nièce, écorchées par la vie tenteront de se construire une existence ensemble, dans cette maison où le soir elles entendent des chuchotements et des soupirs, une maison hantée par le malheur.
Je vais arrêter là....

Ce que j'ai aimé :

J'ai déjà écrit ce que je n'avais pas aimé.
J'ai aimé la description de ce pays, la vie de ces paysans attachés à leur terre, le chagrin de Heinrich lorsqu'il comprend que ses trois fils ne reprendront jamais la ferme, une peine ajoutée à une autre peine, il a perdu sa femme qu'il aimait tant dans un accident.
"Quand s’était glissée l’erreur ? Quand avait surgi ce malentendu, cette idée que les fils de paysans pouvaient choisir leur vie ? Opter tout simplement pour celle qui semblait agréablement variée et confortable ? "

Les passages sur la nourriture bio qui n'est pas toujours bio et la vie des "bobos" d'Hambourg qui décident de s'installer à la campagne pour vivre autre chose, enfin se retrouver, la campagne n'est pas la ville, j'aurais énormément de mal à m'adapter à la ville et le contraire est aussi vrai.
J'ai aimé Vera, la rude, la froide Vera qui cache tant de tendresse et tant de blessures. L'abandon d'Hildegarde la marquera à jamais.
Anne, qui pensait faire une carrière de musicienne jusqu'à ce que son frère se révèle un véritable génie du piano. Elle en souffrira, abandonnera tout. Sa souffrance est trop intense lorsqu'elle l'entend jouer, elle ne l'égalera jamais. Sa mère Marlene ne comprend rien. Mais Vera dira un jour à Anne:
-Tu ne connais absolument pas Marlene, tu ne connais que ta mère.
Que savaient donc les filles de leur mère ? Elles ne savaient rien. On peut tout demander aux mères, mais encore fallait-il ensuite pouvoir vivre avec les réponses.
La complexité des relations familiales. C'est vrai, nous ne connaissons rien des pensées secrètes de nos mères.

J'ai aussi aimé la façon d'expliquer la froideur des femmes de cette famille brisée. A la fin de l' hiver, les paysans arrosent les arbres, il se forme de la glace autour des bourgeons qui ne gèleront pas. Les femmes de cette maison se fabriquent une carapace de glace pour ne pas geler.
Et pour finir, j'ai beaucoup aimé Léon, le petit garçon très observateur, adorable enfant qui un jour attendrira Vera, elle qui n'a jamais caressé un enfant. Le vieux Karl était son enfant, elle s'en occupera jusqu'à sa mort, 92 ans.

Les passages les plus drôles, ceux qui décrivent la vie des citadins à la campagne

Ce livre est émouvant, bien écrit, je ne dis pas vous devez le lire mais vous le trouverez très intéressant lorsque vous aurez mémorisé les personnages. Une joueuse du club me disait que dans ce cas là elle dressait une liste avec une note "qui est qui" pour la guider au début de sa lecture. Je n'ai pas suivi son conseil, j'ai fini par comprendre.

Bye MClaire.
  





mardi 5 décembre 2017

"L'art de perdre" Alice Zeniter




Un grand roman, merci aux lycéens de l'avoir choisi pour lui décerner leur prix Goncourt, je ne suis pas surprise, ils ne se trompent jamais, je n'ai jamais été déçue.

Poignant, si bien écrit, Alice Zéniter a écrit l'histoire des harkis , ces supplétifs qui ont dû immigrer pour ne pas être abattus à l'indépendance de l'Algérie, ils avaient défendu la France et ne se pliaient pas aux ordres du FLN. Ali, le grand-père avait aussi vécu la bataille de Monte Cassino pendant la guerre de 40, bataille qu'il ne racontera jamais tant elle était chargée d'horreurs. Mon père aussi a combattu à Monte-Cassino, dans les Zouaves, il n'en parlera jamais. Les hommes n'aiment pas raconter la guerre, ils ont leurs raisons.

Ce livre me concerne aussi, je suis née là-bas, je me suis mariée à Miliana, j'ai eu mon premier enfant et nous avons dû partir, un matin très tôt, presque en cachette, le but était d'atteindre l'aéroport de Maison-Blanche, au milieu d'une cohorte de français, les pieds-noirs comme ils étaient appelés, qui laissaient tout pour sauver leur famille, l'exode, . Mon histoire est différente, nous savions où aller en posant les pieds à Marignane, Christian est d'Aix-en-Provence.
 Les harkis prenaient le bateau, comme du bétail, sans savoir où ils seraient logés. Le pire les attendait. Ils étaient français sur le papier, mais kabyles ou arabes avant tout pour la France, il fallait les parquer pour éviter le danger, quel danger ?
Alice Zéniter raconte à travers la voix de Neima l'histoire de sa famille, en 1962,133 harkis sont arrivés à Ongles dans les Basses-Alpes. Son grand-père y était.
Dans le roman, Ali et sa famille seront hébergés dans l'affreux camp de Rivesaltes qui avait vu passer des juifs; des espagnols, dans des conditions d'hygiène déplorables, sous des tentes cernées de barbelés..Certains, ne sortiront pas pendant des années, ne connaîtront rien du monde extérieur jusqu'à ce qu'ils soient transférés dans les Bouches-du-Rhône à Jonques, le camp s'appellait du joli nom "Le logis d'Anne" seul le nom était beau, les logis étaient en bois ou en fibrociment; Ali travaillera  pour l'Office national des forêts.
Plus tard, sans leur demander leur avis, ils seront de nouveau transférés en car pour rejoindre Flers, la Basse-Normandie, des barres de HLM, un tout petit logement pour loger sa nombreuse famille. Il travaillera à l'usine.

Le roman se divise en trois :
-L'Algérie de papa
-La France froide
-Paris est une fête. 

L'Algérie de papa, c'est celle du terrorisme, des embuscades, des tueries, les horreurs vécues, tout est vrai.
Je tiens à préciser que les crimes étaient commis de chaque côté, l'armée et le FLN, la vengeance était terrible. 
C'est à cette époque qu'Ali doit choisir son camp, il en paiera le prix.
Nous connaissions un arabe qui était adorable, il travaillait sous les ordres de mon père, Krim avait un petit garçon, et quelques mois avant de partir il était rentré chez nous avec son gamin dans les bras et il avait dit dans un éclat de rire :
"Il faut que tu montres à monsieur Crabos ce que nous allons lui faire " et le gamin avait fait le geste d'égorger. Krim avait choisi son camp. Nous étions stupéfaits.

La France froide, c'est celle des camps et du HLM de Flers, c'est la France d'Hamid, le fils aîné de la famille et le père de Naima. Une France peu accueillante, les difficultés pour s'intégrer, un père de famille qui rétrécit, des enfants qui s'échappent, Hamid qui est las de se voir attribuer des responsabilités trop lourdes pour son âge, il sait lire et écrire, pas ses parents. Hamid est brillant à l'école, il aura son bac et partira, il tombera amoureux de Paris et de Clarisse. Ce sera Paris est une fête.

L'instituteur d'Hamid dira à Ali "Votre fils peut faire des grandes études, Polytechnique ou Ecole Normale Supérieure" et Ali très fier mais qui ne connait pas ces écoles répondra "Il fera les deux"

Je ne vais pas vous cacher que j'ai pleuré à gros sanglots en lisant certains passages de ce roman, j'en profitais, Christian était dans le jardin. Oui, je pleure en lisant, au cinéma, mais j'ai beaucoup de mal à pleurer si un événement terrifiant arrive, je pleure quinze jours plus tard.

Emue aux larmes devant les déchirements d'Hamid, ses parents ne ressemblent pas aux parents de ses copains, il sait qu'il a un peu honte des effusions de sa mère qui ne parle pas français et qui serre encore et encore dans ses bras Clarisse, comme cela se fait en Algérie, sa culpabilité, ses silences, sa difficulté d'aimer complètement. J'ai été émue en lisant le mot "meskina" les mauresques prononçaient ce mot en nous voyant pleurer, "meskina" ma petite ça va aller, ça va passer. J'avais oublié ce mot. Je disais souvent à mes enfants "ça va aller, ça va passer"

Emue en lisant les efforts de Yema pour s'intégrer, acheter des langues de chat aux enfants pour faire comme les français, alors que ses gâteaux au miel sont mille fois plus délicieux.

Le coeur serré en lisant les retrouvailles de Naima avec sa famille sur la crête en Algérie, près de Palestro. Ses hésitations, les sentiments mélangés, elle sait qu'elle ne pourrait pas vivre avec eux, elle a envie de se retrouver chez elle, mais il fallait qu'elle fasse ce voyage, pour enfin trouver la paix après la violence de sa recherche d'identité, découvrir ce que son père n'a jamais raconté.
Oui, les vérités sont souvent assassines.

Je dis souvent que j'ai très envie de reposer les pieds sur cette terre d'Algérie mais après avoir lu ce livre j'ai un doute.
Est-ce qu'en revoyant l'Algérie ce pays m'offrirait ce que j'étais venue chercher ? 
Neïma dit à sa mère :
-Tu voudrais y retourner, Yema ? Est-ce que tu voudrais que je t'emmène avec moi si j'y retourne ?
-Oh benti, benti...murmure tristement Yema. Moi je voudrais mourir là-bas, c'est sûr. Mais aller comme ça ? Pour les vacances ? Je connais plus personne..
Elle dit : je ne vais pas rentrer chez moi et aller dormir à l'hôtel.

Alors si Yema qui est kabyle prononce ces paroles, comment comprendre la nostalgie d'une française qui est née là-bas mais qui sait très bien que l'Algérie n'est pas son pays ?
Christian me dit "Mais quand même, c'est le pays où tu es née et où tu as vécu toute ta jeunesse, c'est normal que tu aies envie de le revoir."  Je ne sais plus..
L'Algérie est pour Naïma son pays d'origine mais pas de naissance, pour moi c'est le contraire.

Lisez ce livre, il est magnifique, captivant, les jeunes générations connaissent très mal cette période tourmentée, ce roman peut faire sauter certaines barrières, rendre les gens plus conciliants. J'ai adoré, mais le contraire aurait été étonnant.   
Je vais choisir un roman léger pour digérer la lecture des deux derniers.  

Bye MClaire