jeudi 5 septembre 2013

Les anges meurent de nos blessures. Yasmina Khadra.


 
Yasmina Khadra, pour ceux qui ne le connaissent pas, Yasmina est un écrivain pas une écrivaine, ce sont les deux prénoms de sa femme qui lui a dit un jour "Tu m'as donné ton nom pour la vie, je te donne le mien pour la postérité". Nom d'emprunt, il s'appelle en réalité Mohammed Moulessehoul, il a 58 ans, il est algérien et pour moi c'est un des plus grands écrivains contemporains.

J'achète ses livres sans avoir jamais lu les critiques, je suis certaine de ne jamais être déçue.
J'ai acheté le dernier paru "Les anges meurent de nos blessures" dès sa parution et je me suis régalée, j'avais aimé par dessus tout "Ce que le jour doit à la nuit" mais je pense que celui-ci est encore plus passionnant.

L'histoire :

Un enfant du djebel porte le nom de son village Turambo.
Les premières lignes du livre :
"Je m'appelle Turambo et, à l'aube, on viendra me chercher."
On viendra le chercher pour le guillotiner. On saura pourquoi à la fin du bouquin.
Une grande partie du roman se déroule en Algérie dans l'entre-deux-guerres, une Algérie colonisée par les français qui laissent les arabes croupir dans leurs douars, sans travail, dans la misère.  C'était un racisme qui semblait naturel. Un jour le village de Turambo est rayé de la carte par une coulée de boue, toute la famille s'installe dans un douar à Graba, dans une promiscuité impensable, la crasse, le vol, la maladie, sans aucun espoir d'une vie meilleure et pourtant cette famille très croyante fera tout pour se sortir de là, le père de Turambo a disparu, personne ne sait s'il est vivant, la mère admirable d'amour essaie de bien éduquer son fils, elle a des principes, le sens de l'honneur, à force de courage l'oncle de Turumbo parvient à amener la famille à Oran vivre dans une vraie maison avec une porte et des volets, le rêve de l'enfant.
Il fera la connaissance de Gino, enfant de la femme chez laquelle la mère de Turumbo travaille, une grande amitié va les lier pendant longtemps.
Turumbo est un adolescent assez candide, il est beau, tombe facilement amoureux des filles qui passent, même de celles qui ne peuvent pas être pour lui, des françaises. Un jour quelqu'un le remarque à l'occasion d'une bagarre, il a une force incroyable dans le poing gauche, on lui propose de monter sur un ring, il n'ira pas tout de suite, mais finira par céder, le manque d'argent est trop cruel. A partir de là ce sera la gloire et la descente aux enfers.
Je ne vais pas vous raconter l'histoire parce qu'il faut absolument que vous lisiez ce bouquin. Vous comprendrez certaines choses, ne jamais juger trop vite.

Pourquoi est-ce que j'ai tant aimé ce livre ?

Il a fait ressurgir en moi des sensations que je pensais avoir oubliées, des odeurs, des noms de gâteaux, de nourriture, des mots que nous entendions sans cesse dans le langage courant, des paysages qui sont encore intacts dans ma mémoire J'avais l'impression de ressentir le chape de chaleur qui pesait sur nous en plein cœur de l'été.
J'étais aussi éblouie par le vocabulaire de l'auteur, à chaque paragraphe il écrit des mots que nous n'employons jamais mais qui imagent tellement bien l'écriture.
Je ne connais pas Oran, je connais le Constantinois et bien sûr presque par coeur l'Algérois où je suis née. Ce que je sais est que les Algérois snobaient beaucoup les Oranais, à Alger même les "petites gens" se sentaient supérieurs aux Oranais, à Bab-el-Oued "même les petites gens voyaient les choses en grand.". C'était comme ça.
Oran est un "personnage" du livre, l'auteur décrit cette ville avec des mots qu'il pourrait consacrer à une femme.
Il a longtemps que j'ai compris le drame de l'Algérie occupée par la France. Si les choses s'étaient passées autrement, plus de considération, plus de générosité, jamais la blessure n'aurait été aussi profonde, déjà dans les années 1930-1940 la révolte grondait, le livre de Kadhra ne fait que confirmer ce que je pensais.
Turumbo voulait la gloire mais ceux qui l'entouraient lui ont toujours fait comprendre qu'il fallait qu'il reste à sa place, ce n'était qu'un "bicot", et ça c'est inacceptable. Se servir de lui pour atteindre la gloire, gagner beaucoup d'argent et le détruire s'il se rebellait.
La morale de ce livre est qu'à cette époque lorsqu'un algérien voulait sortir du ruisseau tout n'était qu'un leurre, il y retournait.
J'aime toujours ce pays, c'est le pays où je suis née, tout ce qui lui arrive ne peut pas me laisser indifférente. Nous aurions voulu rester là bas pour l'éternité, l'histoire a voulu que ce soit autrement.
Le livre de Khadra est un bouquin humaniste, c'est l'histoire d'un homme qui voulait maîtriser son destin. J'espère qu'il aura un prix à la rentrée littéraire, mais si ce n'est pas le cas ce n'est pas grave, il n'aura pas besoin de ça pour être reconnu. Merci monsieur Khadra, vous m'avez fait pleurer mais je ne vous en veux pas. Amayas-Turumbo est un de vos plus beaux personnages.
Une autre chose, j'ai bien aimé lorsque vous écrivez "Nous sommes un peuple solaire", nous aussi pieds-noirs nous sommes un peuple solaire et nous n'aimons pas l'automne.

Bye MClaire