mercredi 1 avril 2015
"Je viens" d'Emmanuelle Bayamack-Tam."
J'ai lu la dernière page tout à l'heure, j'ai essayé de faire durer mon plaisir mais page après page un livre se termine toujours. J'ai beaucoup aimé. J'avais été un peu déçue par les deux livres lus avant celui-ci, c'est oublié.
Ce roman est un mille-feuilles, une feuille d'humour, une feuille d'amour, une feuille de haine, une feuille de rancoeur, une feuille sur la décrépitude des "vieux", une feuille de racisme, une feuille sur la bienveillance, une feuille sur les souffrances de l'enfance etc...
Une belle écriture exigeante dans le choix des mots.
L'histoire :
Charonne une petite fille métisse qui a cinq ans est adoptée par Gladys et Régis, sa mère biologique l'a jetée dans une benne à ordures, Gladys ne peut pas avoir d'enfant.
Au bout de quelques mois ils se rendent compte qu'ils ne pourront jamais aimer cette enfant qui ne correspond pas à leur idéal. Ils décident de la rendre, mais Charonne se montre tellement tendre devant la juge qu'ils ne peuvent que la ramener chez eux,
"J'attrape leurs mains respectives, celle de Gladys cramponnée au bord de la table et celle de Régis mollement posée dans son giron, puis sous l’œil expert en amour filial de Mme la directrice, je les porte à mes joues rebondies."
à la grande joie de Nelly la grand-mère, mère de Gladys, qui s'occupe beaucoup de Charonne pendant que ses pseudo- parents se baladent dans le monde entier, la petite fille et la vieille dame s'entendent à merveille sous les yeux dépités de Gladys qui hait Charonne, elle est trop noire, trop grosse, déteste ses fesses énormes qui sont dignes d'une Vénus hottentote ; elle la trouve calculatrice, rusée.
Il y a aussi le grand-père raciste, le deuxième mari de Nelly, Charlie qui est le père de Régis, il amène Gladys avec lui dans des bars qui regorgent de vieux racistes, Charonne se tait en entendant toutes sortes de qualificatifs, leurs sarcasmes, la petite fille sait se protéger de l'hostilité des autres.
Tout le monde vit sous le même toit, dans une très belle maison à Marseille, grands-parents, parents, Charonne.
Charonne se déplace dans cette maison avec légèreté, en côtoyant tous les objets précieux glanés chez les antiquaires, la maison regorge de trésors, certains seront la proie du fils de la domestique Philippine et Gladys accusera Charonne.
Ce livre est composé de trois parties, trois femmes parlent.
Charonne, Nelly, Gladys
.
Nelly a été une star du cinéma, deux fois mariée mais très peu mère, elle sera beaucoup plus aimante avec Charonne qui est sa petite-fille sans l'être.
Nelly voit Charlie s'enfoncer chaque jour dans sa démence sénile et Charonne est un soutien.
Gladys est pleine de rancoeur, égoïste, cynique, jalouse, elle pense avoir formé avec Régis le couple parfait loin des turpitudes du monde, ils visitent des monastères à la recherche d'une vie loin des biens matériels, loin des autres.
Ils partent au Bouthan six mois par an à la recherche du bonheur éternel.
Charonne est la bienveillance incarnée mais incomprise. Une belle énergie dans cette maison où les habitants sont en train de se décomposer entre la haine et l'amour. Elle est vivante et certains humains n'aiment pas les gens vivants, ils les renvoient à leur incapacité d'être heureux.
J'ai relevé quelques passages :
"L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir non négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien. A l'inverse, ceux qu'on aura élevés dans le sentiment trompeur qu'ils sont quelque chose multiplieront à l'infini les exigences affectives, s'offusqueront au moindre manquement et n'auront de cesse qu'ils ne vous pourrissent l'existence. Faites le test"
Charonne qui n'est pas désirée par ces parents d'adoption, fera tout pour se faire aimer, elle sera "d'un commerce aisé".
Gladys, toujours insatisfaite, aigrie :
"Mon père m'a tuée, mais c'est ce que font tous les pères. Mon père m'a tuée, mais ma mère avait commencé avant, et comme je ne suis pas morte, on a bien le crime parfait (...)."
«Je ne veux ni de son plan de sauvetage, ni de son mode d’emploi, et la vie de toute façon, je ne saurais qu’en faire, sauf à la recommencer du début.»
Nelly :
"Mais autant que ça se sache et que les jeunes générations soient averties : rien n'y fait. Avec un lifting, on a l'air d'une vieille au menton pointu, avec le Botox, on a l'air d'une vieille au front lisse.
"Mon Dieu, mon Dieu, ce qu'on devient! Qui pourrait croire que j'ai été si belle en voyant aujourd'hui mes fanons ballottants, mes yeux presque dépourvus de cils et la mousse éthérée de mes cheveux.."
J'ai aimé moyennement les passages où un fantôme s'installe dans le bureau, sur l'ottomane, la nuit il hante cette pièce dans des volutes bleues, c'est là que Charonne le rejoint, il lui apprend à lire. Ce n'était pas indispensable. Charonne adore lire.
Voilà, je vous conseille ce roman qui traite avec talent des blessures de l'enfance, des mauvais mères, des familles recomposées et de la nécessité d'être heureux au bon moment pour ne pas avoir de regrets.
Bye MClaire.