vendredi 31 janvier 2014

"Réparer les vivants" de Maylis de Kerangal.



Deux gazettes dans un laps de temps si court c'est assez rare, j'ai très envie de vous faire partager très vite mon coup de coeur qui a surtout été un coup de poing en lisant le bouquin de Marlys de Kerangal "Réparer les vivants."

Je suis allée l'acheter après les infos de 13h, Elise Lucet recevait l'auteur et la journaliste avait l'air emballée par le roman, elle était vraiment émue. Maylis de Kerangal a 48 ans, elle a déjà écrit quelques romans dont "Naissance d'un pont", j'ai lu ce roman au moment de sa sortie, j'avais trouvé son écriture originale, mais je n'avais pas été emballée par l'histoire, juste curieuse d'aller jusqu'au bout.
"Réparer les vivants" m'a captivée, j'en suis sortie K.O. En général, dès que je finis un livre j'en ouvre un autre, là non, j'attends, la même impression que "Le quatrième mur",  les autres me sembleraient fades si je devais les lire tout de suite, rien ne m'y oblige, je laisse le temps faire son oeuvre, il faut digérer avant d'entamer une autre histoire, attendre que les émotions ressenties s'effacent.

C'est l'histoire d'un don d'organes, la transplantation dans le corps des autres d'organes qui doivent les sauver, le désespoir de ceux qui doivent dire "Oui, je veux bien." alors qu'ils sont écrasés par le chagrin, ne savent plus où ils en sont parce que tout leur semble irréel.

Le roman commence sur une planche de surf, trois jeunes cherchent la vague qui leur procurera une sensation unique. C'est en février, il fait froid, l'auteur est très technique dans la description du moment où le corps s'infiltre dans la vague, c'est le "take off", moment où tout se concentre. Les trois jeunes gens sont arrivés sur la plage à l'aube en van, ils repartent heureux mais fatigués, deux d'entre eux sont attachés, Simon ne l'est pas et c'est l'accident, terrible pour Simon, sa tête heurte le pare-brise, traumatisme crânien sévère, les deux autres seront blessés.
A partir de ce moment se joue une course contre la montre, non pas pour le sauver, plus rien n'est possible, mort cérébrale, seul le coeur bat parce que la machine le fait battre. L'arrivée des parents à l'hôpital, ils sont reçus par Thomas coordinateur des greffes, Thomas si humain qui droit trouver les mots justes, saisir la faille pour poser la question : "Votre fils est-il inscrit au registre national des refus de dons d'organes? Ou savez-vous s'il avait exprimé une opposition à cette idée, s'il était contre?"
Le père répond "Dix-neuf ans, il y a des garçons de dix-neuf ans qui prennent des dispositions au sujet de, pour, ça existe?"

Thomas comprend qu'ils sont décidés à dire oui à partir du moment où ils parlent de leur fils à l'imparfait, mais Thomas refuse de faire jouer la corde sensible il ne veut pas être l'agent d'un chantage muet, il attend que la question "On prélève quoi?" soit posée, les parents ne veulent pas qu'on touche aux yeux de leur fils, pas la cornée, les yeux sont "les capteurs vivants de son corps."

L'auteur met aussi en scène les protagonistes du roman, les médecins, les chirurgiens, une infirmière de la réa., nous livre des petits bouts de leur vie privée. Thomas aime les chardonnerets, nous partons avec lui à Alger pour l'achat d'un chardonneret, une bouffée d'air dans ce roman si dense, quelques digressions qui font que nous pouvons poursuivre notre lecture sans avoir le visage inondé de larmes.
En lisant j'étais Marianne, cette maman crucifiée qui doit accepter la mort de son enfant et faire preuve d'une incroyable générosité en acceptant que son fils soit vidé de son coeur, de ses poumons, de ses reins et de son foie. Qu'aurions-nous fait à sa place? La question est toujours là.

Il y a tout le travail collectif effectué par les équipes. Maylis de Kérangal a dû s'immerger dans le fonctionnement d'un hôpital, passer du temps avec tous les soignants, elle a une écriture si précise pour décrire les gestes, tout le processus qui précède la transplantation. Il y a du lyrisme mais en même temps elle est très scientifique, la ponctuation de ces phrases est toujours bien placée, une façon d'écrire vraiment originale

Les dernières pages du livre sont consacrées à la transplantation. Si vous n'avez jamais subi une grosse opération vous serez sans doute moins ému que moi, j'ai retrouvé tous les gestes, les émotions ressenties avant d'arriver à la salle d'opération, tout est juste, les douches à la bétadine, le brancardier qui saisit votre lit pour lui faire parcourir des couloirs interminables, vous ne voyez que le plafond et vous commencez à grelotter parce que la peur s'installe, les perfusions suspendues, mes bras qui avaient été tant sollicités pendant huit jours avant de pouvoir m'opérer, 40 flacons d'antibiotiques, ils ne savaient plus où piquer, les bras si douloureux, on vous met dans un coin d'une pièce pour attendre, seule "On va venir vous chercher", vous gambergez même si la petite pilule qui doit vous calmer commence à faire son effet. Le chirurgien, l'anesthésiste, les infirmières qui s'agitent autour de vous avant de sombrer dans le sommeil profond. Tout est décrit avec précision, sauf que moi ce n'était pas un coeur qu'on allait me greffer, ma vie n'était pas suspendue à ce coeur qu'il fallait faire repartir, Claire la transplantée va être sauvée grâce au coeur de Simon, ce jeune homme de 19 ans mort un dimanche matin sur une petite route de la Seine-Maritime.

Un livre magnifique sur le don d'organe, sur la symbolique du coeur, sur la douleur des parents qui perdent un enfant, écrit sans pathos dans un style éblouissant. 
Lisez-le, vous devez le lire.

Bye MClaire.