dimanche 3 février 2019

David Diop "Frère d'âme"



"Tant que l'homme n'est pas mort, il n'a pas fini d'être créé."
Proverbe peul.

Une histoire fabuleuse, éblouissante, émouvante, écrite avec des mots qui chantent. 
Je me suis assise dans mon canapé et je n'ai plus lâché le livre, lu en quelques heures. 174 pages, des gros caractères, une histoire dense et fascinante.

L'auteur nous transporte dans les tranchées de la Grande Guerre, des tirailleurs sénégalais et parmi eux Alfa Ndiaye et Mademba Diop, amis depuis toujours.
Lorsque le capitaine Armand siffle, les deux amis se précipitent hors de la tranchée, Mademba le premier, il veut prouver qu'il est courageux, le capitaine ne manque pas de mots pour qu'ils s'élancent, ce sont des grands guerriers "ils rivalisent entre eux de folie."
Mademba sera touché, le fusil dans la main gauche et le coupe-coupe dans la main droite. Il suppliera son ami de l'achever, lui qui a les tripes dehors, Alfa le laissera hurler jusqu'à son dernier râle :
"Quand tu es mort, les mains enfin immobiles, enfin apaisé, enfin sauvé de la sale souffrance par ton dernier souffle, j'ai seulement pensé que je n'aurais pas dû attendre. J'ai compris trop tard d'un souffle que j'aurais dû t'égorger dès que tu me l'as demandé, alors que tu avais encore les yeux secs et la main gauche serrée dans la mienne.."
Il le transportera dans ses bras jusqu'à la tranchée et là il se transformera, ne ressemblera plus à celui qui obéissait à ceux qui l'empêchaient de penser "Ce que je pense, c'est qu'on veut que je ne pense pas.." Il sombrera dans la folie et sera évacué à l'arrière, les soldats ne supportaient plus sa folie sanguinaire, ils l'appelaient "Le dévoreur du dedans des gens."

La suite du récit ne sera qu'un long cri, entrecoupé de passages très poétiques, ses souvenirs dans son village, son père qui vieillira d'un seul coup après le départ de sa femme peule, une mère qu'il ne reverra jamais et toujours Mademba qui sera là pour le consoler, Fary celle qu'il aimera dans la petite forêt d'ébéniers :
"Fary m'a offert le plus beau cadeau qu'une jeune femme puisse faire à un jeune homme à la veille de son départ à la guerre. Mourir sans avoir connu toutes les joies du corps, ce n'est pas juste......Quand la rumeur de la guerre est arrivée au village, Fary a bien compris que la France et son armée m'enlèveraient à elle."

Comment ne pas s'insurger en dévorant ce bouquin, les tirailleurs sénégalais étaient de la chair à canon, ils devaient se sacrifier pour sauver une Patrie qu'ils ne connaissaient pas. La plus grande boucherie de l'histoire.
Je n'avais pas aimé "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaître, sans doute la seule à ne pas aimer, j'ai adoré "Frère d'âme" qui est aussi une histoire d'amour et d'amitié.

Mon père a fait la guerre de 40 dans la compagnie des zouaves, il devait côtoyer des tirailleurs sénégalais, il ne racontait jamais cette guerre.
Seul souvenir, une photo de lui en zouave accrochée sur un mur, ma mère détestait cette photo, elle l'enlevait régulièrement et lui la raccrochait. Cette photo a dû rester dans une cantine de leur déménagement qui n'est jamais arrivé en France après leur départ d'Algérie. Il s'était battu pour que la France soit libre, lui qui n'avait jamais mis les pieds sur le sol de sa Patrie. 

Lisez ce livre magnifique, les lycéens ont toujours raison lorsqu'ils attribuent leur Goncourt. Ce livre a obtenu le Goncourt de la Tunisie, je ne savais pas que ce prix existait.

J'avais commencé à lire le dernier L.Gounelle et j'ai abandonné à quelques pages de la fin, je ne pouvais plus m'obliger à lire un bouquin qui ne me plaisait pas, en général j'aime L.Gounelle, là rien ne se passait.

Bye MClaire.