lundi 4 mars 2013

J'ai interrompu ma lecture pour marcher jusqu'au golfe, nous avons fait quelques kilomètres, je suis assez contente, il y avait longtemps que nous n'avions pas parcouru cette distance, quatre ou cinq kilomètres, nous sommes encore loin des quinze km que nous parcourions "avant", c'est mieux que rien, le soleil commence à chauffer la peau, les prémices du printemps, le moral va mieux. La grisaille rend les gens tristes, agressifs, impolis, le soleil nous rend heureux, souriants, nous faisons des projets, en parlant de projet je disais à Christian "S'il fait beau en avril, j'aimerais beaucoup aller.." je n'ai pas fini ma phrase, il l'a finie à ma place "Dans le Cotentin" Oui, j'aimerais bien aller dans le Cotentin, tout au bout, vers La Hague, nous ne connaissons pas du tout, c'est pourtant si près d'ici.
J'avais lu un bouquin de Didier Decoin qui décrivait  bien ce bout du monde, il a une maison secondaire là-bas et "Les déferlantes" de Claudie Gallay a fini par me persuader qu'il fallait absolument que je visite ce coin où le vent est tellement fort qu'il arrache les ailes des papillons.
Dès que la météo annoncera quelques jours de beau temps en avril je dirai "Il fait beau, j'aimerais beaucoup aller..."  "Dans le Cotentin.", mais avant j'irai voir ma mère à Paris, ma mère qui semble si fatiguée, la voix éteinte et qui retrouve toute son énergie pour dire "Je n'irai pas en maison de retraite". Si elle a des doutes sur nos intentions, les jours qui suivent elle répond au téléphone d'une voix alerte, elle dit aller très bien, joue avec elle même pour nous faire croire qu'elle s'assume alors qu'elle n'arrive même plus à faire chauffer sa nourriture, invente des sorties qu'elle ne fait pas, elle est presque complètement tributaire des autres, mais elle ne veut pas aller en maison de retraite. Quelle solution? Plus tard, j'aurai le souvenir d'une sourde angoisse, d'un sentiment de culpabilité, ce sera la première personne de ma famille que nous envisageons de mettre dans une maison. La décision est dure à prendre pour tout le monde, nous ne pouvons pas faire autrement. J'ai le souvenir d'une copine qui m'avait dit qu'elle n'oublierait jamais les paroles de sa mère lorsqu'elle a refermé la porte de la chambre où elle l'avait laissée "Tu n'oublieras jamais, je ne te pardonnerai jamais.".
Ma mère a presque 93 ans, ma mère perd la mémoire, a une vie végétative mais sait encore imposer sa volonté, ce n'était pas une docile et nous ne possédons pas les clés pour l'acceptation, il faut absolument trouver une solution.

J'avais interrompu ma lecture pour marcher, un livre fort "Rien ne s'oppose à la nuit." de Delphine de Vigan.
Si vous aimez lire et évidemment ça doit être le cas puisque vous lisez cette gazette, vous avez sans doute aimé " No et moi.", l'histoire bouleversante d'une jeune sdf du même auteur.
"Rien ne s'oppose à la nuit" est aussi un livre qui nous bouleverse. Je vous avertis, il faut un moral à toute épreuve pour lire ce bouquin, ne le lisez pas si vous êtes dans une période de cafard.

Après le suicide de sa mère, l'auteure éprouve le besoin d'écrire un livre sur sa famille, rien de plus habituel chez un écrivain, l'écrivain  se nourrit souvent de son vécu pour écrire. Céline disait " Pour écrire il faut mettre sa peau sur la table, autrement on n'a rien."

Les familles sont des sujets inépuisables, surtout celle du bouquin, ses grands-parents ont eu 9 enfants, enfin 8 plus exactement, ils ont adopté J.Marc enfant battu. Ce sont des bourgeois que nous pourrions appeler "bobos" à notre époque, bohèmes, toujours fauchés, mais menant la grande vie, Georges le grand-père aime séduire, trop séduire jusqu'à l'inacceptable, la grand-mère Liane, jolie femme, un peu inconsciente veut une famille nombreuse qu'elle laissera souvent seule, les plus grands surveillent les plus petits. Il y a Lucile la mère de l'auteure, énigmatique, silencieuse, insaisissable, fascinante, belle, très belle, laissant les autres à distance d'elle, enfant elle fait des photos pour des catalogues. Lucile qui ne pense qu'à partir le plus vite possible de cette maison trop bruyante où le malheur s'est installé, un de ses petits frères meurt en tombant dans un puits, JMarc se suicide avec un sac plastique sur la tête et Liane met son dernier enfant au monde à 43 ans, un trisomique 21.
Lucile se marie très jeune, met au monde sa petite fille puis une autre, divorce et à partir de ce moment sa vie part en vrille, des bouffées de délire s'installent jusqu'à l'internement. Grâce à un médecin compètent elle sortira et arrivera à reconstruire sa vie temporairement, mais le malheur la rattrapera.

Comme d'habitude j'ai corné les pages que j'ai trouvées touchantes. Toutes les familles ont une histoire, toutes les familles ont des fêlures, mais toutes les familles n'ont pas un écrivain parmi ses membres.
Lorsque l'auteure décrit la maison pleine d'enfants, les lits qui puent la pisse, j'ai pensé à une famille nombreuse amie de mes parents, six enfants qui souffraient d'énurésie, les matelas séchaient à longueur de journée sur les balcons de la gendarmerie. La maman était fatiguée, des grossesses successives, il m'arrivait enfant de garder le dernier né qui était dans son parc et qui hurlait, je ne supportais pas ses hurlements alors quoi dire de la mère qui subissait ça tous les jours, toutes les nuits. J'arrivais presque à comprendre la mère de l'auteure qui se réfugiait dans un sommeil profond pour récupèrer. Aujourd'hui cette maman a l'alzheimer et c'est un de ses enfants célibataire qui s'en occupe.
J'ai aussi corné une page qui décrit les bouffées délirantes, j'ai reconnu ce que me racontait ma collègue de travail à Paris, j'étais jeune et le lundi matin j'avais droit au récit de la visite de Thérése à l'hôpital psychiatrique de Ste-Geneviève, elle allait voir sa mère et revenait toujours bouleversée, elle me racontait le début de sa folie, sa peur lorsqu'elle était seule avec sa mère dans la maison avant qu'elle soit internée. La frontière entre le normal et la folie, un jour nous basculons du mauvais côté, la camisole chimique se met en place.

J'ai corné beaucoup d'autres pages. Lorsque je prête mes livres à Michelle, elle cherche le passage qui m'a touchée.

Avant que l'auteure en parle, j'ai pensé au livre de Lionel Duroy "Le chagrin" que j'avais tant aimé, j'y pensais depuis le début. Comment une famille peut-elle accepter que tous ses secrets les plus enfouis soient mis au grand jour? Pour l'auteure c'était une nécessité, il fallait qu'elle écrive son histoire, ce livre est un bel acte d'amour filial, en le lisant nous ne pouvons pas nous accuser de voyeurisme. C'est un livre de réconciliation, pudique, plein de dignité.
J'ai pleuré en parcourant les dernières pages, enfin l'auteure dit "maman" et abandonne Lucile.

Je pense choisir un bouquin léger, amusant pour ma prochaine lecture. Celui-ci va laisser son empreinte, il faut arriver à l'effacer, l'histoire des autres peut devenir une histoire intime, si le livre nous habite . Cette semaine il y a eu "Amour" en dvd et ce bouquin, ça suffit. Je suis même prête à lire du Barbara Cartland, c'est dire ! (Je plaisante, je n'ai jamais ouvert un de ses livres, j'ai peut être tort.)

Je n'ai pas trouvé de dessins amusants, du cheval, le Pape, toujours les mêmes sujets.

Bye MClaire.