samedi 27 avril 2013

Retour de Lorient, nous avons rendu Clarys à sa maman. Lorient est le lieu d'échange, où nous récupérons les enfants ou nous les rendons. Une pointe de mélancolie, à chaque fois je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est sans doute la dernière fois ou si nous voulons qu'elle revienne passer quelques jours il faudra que nous acceptions qu'elle amène une copine. Je ne sais plus si j'ai encore assez d'énergie pour m'occuper de deux filles qui sont sans cesse en demande de loisirs. Je suis trop vite fatiguée, je pense avoir largement accompli mon rôle de mamie lorsque tout allait bien, alors pas de remords.
C'est une bonne transition pour aborder le sujet du livre de Jeanne Benameur "Profanes". En effet, le héros du livre, Octave Lassalle, aurait bien voulu s'occuper de ses petits-enfants si sa fille Claire ne s'était pas tuée dans un accident de voiture, fille unique, une vie, des vies détruites.

J'ai terminé ce livre hier, mais j'aurais bien été incapable d'écrire une gazette dans la foulée, tellement ce livre est touchant, après avoir lu le dernier mot il faut sortir de ce bouquin doucement, sur la pointe des pieds et attendre que la magie des mots s'estompe un peu.
La couverture du livre représente un coquelicot, fleur fragile entre toutes, comme les personnages du livre.

Octave Lassalle a 90 ans, il a été un chirurgien du cœur réputé, consacrant toute sa vie à ses patients au détriment de sa famille, comme beaucoup de médecins qui je suppose doivent ramener chez eux tous les maux de leurs malades, comment faire la transition entre un métier qui est un véritable sacerdoce et la maison. Octave ne se rend pas compte que sa femme et sa fille souffrent de ses absences, il soigne, découpe, fait revivre ceux qui un jour s'éloigneront de lui, sans voir que là tout près deux femmes ont tellement besoin de sa présence. Il finit par aimer les siens à distance.
Lui l'athée a épousé une femme qui a la foi chevillée au corps. Octave est un profane, il reste devant le temple sans y entrer, sa seule foi : Celle de l'homme en l'homme.
Un jour arrive l'inacceptable, Claire meurt, il n'a pas voulu l'opérer après son accident, peur que ses mains tremblent, il confie sa vie à un collègue qui ne pourra rien faire. Sa femme ne lui pardonnera pas ce qu'elle considèrera comme de la lâcheté, elle voulait qu'il la sauve. Elle repart au Québec son pays d'origine avec le cercueil de Claire, Octave ne saura pas où sa fille repose.
Il reste seul dans la grande maison et au crépuscule de sa vie décide d'engager quatre personnes qui s'occuperont de lui successivement dans la journée, Marc le ténébreux, impénétrable, Yolande qui s'occupera du rangement, la jeune Béatrice, Hélène qui est peintre et qui devra faire un portrait de Claire à partir d'une photo. Ces quatre là ont été soigneusement choisis par Octave, il a deviné les fêlures de chacun. L'auteure ne livre que le strict minimum sur les caractères et la vie de chacun. Très peu de dialogues dans ce livre. Nous comprenons au fil des pages que nous sommes profanes de nous même.
Chacun y trouvera ce qu'il cherche.
Un lien finira pas se tisser entre les quatre personnages, Octave trouvera enfin un semblant de paix après avoir lu le carnet de Claire. La paix dans une maison qui est aussi un "personnage" du livre, elle tient une grande place dans le bouquin.

J'ai aussi appris ce qu'étaient les portraits du Fayoum, j'ai appris ou j'avais oublié,  La majorité des portraits funéraires présentent les visages grandeur nature, ils doivent assurer au défunt un visage dans l'au-delà identique à celui de sa vie sur terre. Ils sont très expressifs.

Une fois de plus j'ai corné des pages.

La page où il était encore un enfant, Edith sa camarade de classe dont il est amoureux lui demande s'il est baptisé, il répond non et elle a cette phrase terrible qui le marquera longtemps "Alors t'existes pas."

La lecture de l'haïku destiné à Marc :
Nu
sur un cheval nu
sous la pluie tombant à verse.

"Il y a des moments dans la vie où le temps fait alliance avec la mémoire. Il s'efface, redevient juste une convention pour les horloges, il vous laisse juste remonter le fleuve."

Le passage où Marc fou de cinéma, décrit les sorties des films qui nous marquent, c'est exactement ça "A la fin sortir par grappes, tous embrumés de morceaux de film, chacun les siens, mais ce qu'on garde de ce qu'on a vu, on l'a vu ensemble." Je nous reconnais dans cette phrase, lorsque le film nous a embarqués nous n'avons pas envie de nous relever et de sortir, nous regardons le générique jusqu'à la fin, ces noms qui défilent aident à nous remettre dans la réalité.

La douleur de Béatrice après qu'elle ait su qu'elle était née après un enfant mort.  Elle, elle était venue après, elle ne remplacerait jamais. "Est-ce que l'amour si fort des parents, peut faire mourir les enfants?"

""Les quatre qui ont accompagné ma journée aujourd'hui, depuis si longtemps que je ne touche plus le corps des hommes, des femmes, que je ne sauve plus personne, ces quatre-là, ce sont ceux qui peuvent m'enseigner aujourd'hui. Il n'y a pas de maître. Pas de fils de dieu. Pas de prophète. Rien que des hommes et des femmes. Des profanes."

"Depuis que les quatre sont arrivés dans la maison, lui s'est mis à avancer."

Voilà, ce livre est magnifique, laissez aller vos émotions en le lisant. Je ne peux pas dire qu'il plaira à tout le monde, ce serait trop m'avancer. Oui, il y a des livres que nous ne pouvons pas ouvrir comme les autres et que nous ne pouvons pas refermer sans la foi en l'homme et sans y trouver un chemin apaisant.  On ne peut qu'être touché profondément.
A lire doucement, page après page en revenant même en arrière pour s'imprégner des mots.

 
Je me félicite chaque jour d'aimer autant lire, je ne passe pas à côté de moments merveilleux.  Bye MClaire.