lundi 12 janvier 2015

"Pas pleurer" écrit par Lydie Salvayre - Goncourt 2014



J'ai souvent dit que je n'achetais pas le Goncourt, je ne l'ai pas acheté mais Michelle l'avait, je l'ai donc lu, elle ne l'avait pas aimé. J'ai beaucoup aimé pour différentes raisons et je comprends très bien que ce livre ne laisse personne indifférent, il peut surprendre, il est vraiment particulier.

L'histoire vraie mais sans doute un peu romancée se passe au début de la guerre d'Espagne en 1936. Lydie Salvayre est la fille de Montse 90 ans qui vit encore dans le Languedoc, là où elle s'est retrouvée après avoir fui l'Espagne à pied avec son bébé, pour ne pas subir le sort de tous les Républicains, ne pas être abattue par les hommes de Franco.
Deux histoires s'entremêlent dans ce livre, celle de Montse et celle de l'écrivain Bernanos qui vivait à Palma au début des horreurs, catholique et monarchiste fervent et dont le fils s'était engagé dans les Phalanges. Il dénoncera les crimes des Phalangistes et de l'Eglise le coeur soulevé de dégoût en voyant les crimes commis, les corps jetés sur un chemin et les prêtres complices qui venaient bénir les cadavres les pieds dans leur sang, le bas de leur surplis trempant dans le sang et la boue. L'Eglise peut aussi se tromper. Certains prêtres ont mis "leur soutane par dessus leur conscience" ils devaient obéir aux évêques.
Bernanos a voulu dénoncer ces exactions pour pouvoir se regarder en face jusqu'à la fin de ses jours. Plus tard, il partira vivre au Paraguay, loin de l'Espagne et de la France.
Claudel n'était pas aussi regardant, lui était le complice de ce régime, Guernica ne l'avait pas dérangé.

Et il y a Montse, fille de paysans en Catalogne, elle a un frère José qui s'insurge contre les inégalités, s'allie au rouge dès le départ, prend la tête d'une petite insurrection dans le village. Il est jeune, fougueux et une terrible rivalité l'oppose à Diégo, le fils des propriétaires terriens. Ils sont allés dans la même école. La naissance de Diégo est un peu mystérieuse, un enfant adopté, roux, ombrageux, parlant peu et qui s'oppose très vite à ses parents. Une évidence, il est amoureux de Montse, il s'alliera aux Républicains, sa tante vieille fille Dona Pura en a des vapeurs, elle qui n'avait pas voulu embaucher Montse comme domestique parce qu'elle avait l'air bien modeste, devra la supporter lorsqu'elle se mariera avec Diégo enceinte d'un autre, mais elle ne le saura jamais.

José exalté revient de Lérida :
"  ...a chaviré jusqu’au vertige, morale culbutée, terres mises en commun, églises transformées en coopératives, cafés bruissant de slogans, et sur tous les visages une allégresse, une ferveur, un enthousiasme qu’il n’oubliera jamais ». 

Le début d'une révolution est toujours une fête, Montse qui à 15 ans et José partiront à Barcelone pour vivre ce rêve de liberté qui s'empare du pays. Montse tombera amoureuse d'un poète français qui s'appelle André, André Malraux? Un amour bref et torride d'une journée qui la laissera enceinte dans un pays tellement puritain. Cette enfant sera la soeur de l'auteure, elle a maintenant 77 ans.

Si vous avez l'intention de lire ce livre je ne vais pas vous raconter toute l'histoire à mon sens passionnante parce qu'elle nous remet en mémoire cette période sanglante, répressive de la grande Histoire de l'Espagne.

Ce que j'ai aimé, en fait j'ai tout aimé :

Mon arrière grand-mère était la fille d'espagnols arrivés en Algérie dans la deuxième moitié du 19 è siècle. L'auteure fait parler sa mère, lui fait raconter son histoire et là je comprends les lecteurs qui n'aiment pas l'écriture, Montse parle un français bancal, des phrases entières en espagnol qui ne sont pas traduites. J'ai entendu ma grand-mère mélanger des mots en espagnol et en français dans une phrase, surtout lorsqu'elle se moquait. J'ai reconnu toute la rigidité de l'éducation espagnole, méditerranéenne, même ma mère en étant profondément imprégnée, l'honneur de la famille, il n'aurait pas fallu que nous soyons enceintes avant notre mariage, nous aurions jeté l'opprobre sur tous, montrés du doigt. 
L'autorité des parents, il ne fallait pas répondre, toujours être d'accord, ma génération a commencé à s'exprimer et encore, je me souviens du jour où j'ai dit à ma mère devant une de ses amies que ce n'était pas tout à fait vrai ce qu'elle disait, ça ne s'était pas passé comme ça, un revers de main puissant sur les lèvres, j'ai eu mal, il fallait que je comprenne, j'étais un peu insoumise, il y a eu pas mal de corrections, je faisais le tour de la table plusieurs fois pour qu'elle ne m'attrape pas..Mais bon, je n'ai jamais été malheureuse, loin de là. C'était une autre époque. Une époque où il fallait demander la permission pour se lever de table, ne pas manger la bouche ouverte, les coudes à leur place, ne pas répondre, dire merci, s'il vous plaît.
Dios mio, disaient les espagnols... Les alliances et les mésalliances, chacun devait rester à sa place. Lorsque j'ai connu Christian qui finissait son service militaire, ma mère avait écrit au prêtre d'Aix-en-Provence pour savoir de quelle famille il venait, fils de gendarme c'était formidable, nous étions du même milieu, famille sans histoire, c'était parfait, j'ai su ça un peu plus tard.

J'ai aimé redécouvrir cette guerre d'Espagne oubliée par les jeunes générations. Ce livre est un livre de mémoire. Il y a eu des atrocités chez les anarchistes, les trotskystes du POUM, les partisans de Franco, les dignitaires épiscopaux, signataires en faveur d'un soulèvement contre les Républicains. Lydie Salveyre donne la liste des évêques sur deux pages, il fallait lutter contre les forces du mal.
J'ai été émue en découvrant les lignes où elle décrit l'arrivée de Montse sa maman dans les camps d'Argelès-sur-Mer. Nous étions allés voir une exposition des photos de cette époque à l'Office de Tourisme, vraiment bouleversante et le camping où nous étions cette année là "Le Roussillonnais" avait été ce camp, il y avait encore des lavoirs en ciment de cette époque.


Il y a une stèle sur la plage-nord :
"À la mémoire des 100.000 Républicains Espagnols, internés dans le camp d'Argelès, lors de la RETIRADA de février 1939. Leur malheur: avoir lutté pour défendre la Démocratie et la République contre le fascisme en Espagne de 1936 à 1939. Homme libre, souviens-toi."

Pour moi "Pas pleurer" est un très beau livre, à lire absolument dans ces périodes troublées que nous vivons, c'est un livre terriblement actuel. J'ai beaucoup aimé.
J'avais lu quelque part et j'avais ri que Le Goncourt avait couronné J.L Mélenchon. C'est presque ça.

Bye MClaire.