mardi 13 octobre 2015
OTAGES INTIMES - Jeanne Benameur.
J'ai lu plusieurs romans de cette écrivaine, le merveilleux "Profanes" qui s'attaquait déjà à la vie et à la mort. J'avais écrit une gazette pour "Les insurrections singulières" elle est ICI
Jeanne Benameur est née en Algérie en 1952, d'un père algérien et d'une mère italienne. Elle a été professeur avant de devenir écrivaine, elle vit ou vivait à La Rochelle, elle continue à écrire des beaux romans.
Elle a une écriture très particulière, j'aime. Sensible, poignante, l'émotion toujours au rendez-vous, souvent très pudique.
L'histoire de ce livre :
Etienne est photographe, il parcourt la planète, les pays en guerre pour saisir le moment qui fait basculer une vie. Dans un pays lointain livré à une guerre où l'on ne sait plus qui est qui il photographie, un jour il y a la seconde de trop, il fallait qu'il se mette à l'abri mais une femme et des enfants s'engouffrent dans une voiture, un homme est affaissé sur le siège, est-il mort? Etienne regarde, une voiture s'arrête et il devient l'otage, bandeau sur les yeux il est jeté dans une pièce, il ne sait pas où il est, le temps n'a plus de signification, les geôliers sont ses maîtres, il ne doit pas parler, rien savoir. Pour ne pas sombrer il se remémore un morceau de musique qu'il jouait avec Enzo et Jofranka, la musique est sa bouée.
Enzo travaille le bois, Jofranka "la petite qui vient de loin" est avocate à La Haye, elle défend les femmes qui subissent la barbarie des hommes. Ces trois là étaient inséparables lorsqu'ils étaient enfants, Jofranka vivait en famille d'accueil mais sa vraie famille c'était eux, elle passait son temps chez Irène la maman d'Etienne, Irène l'institutrice qui avait perdu Louis le père d'Etienne, un navigateur disparu en mer et jamais retrouvé.
Ils vivent là dans ce village si calme, loin de la fureur du monde, plus tard seul Enzo restera, il s'était marié avec Jofranka mais elle le quittera.
Un jour, c'est la libération, Etienne retrouve sa mère sur le tarmac, dans la foule il y a Emma avec qui il a eu une histoire d'amour, une vraie histoire d'amour mais elle ne supportait plus ses départs, l'attente, toujours l'attente et l'angoisse, cette attente destructrice. Ils se sont séparés. Il ne voulait pas être attendu. Elle lui écrira plus tard pour lui expliquer, pas pour le reconquérir.
Après l'euphorie du retour vient le moment où il faut vivre avec les cauchemars, les souvenirs, les scènes d'horreur enregistrées par sa rétine de photographe.
Tous les otages sont unanimes, ce retour est terrible, les autres ne peuvent pas savoir. Ce retour à la vie est très fragile, les mots ne guérissent rien.
"Les objets, les gens sont bien les mêmes. L'étranger c'est lui."
Etienne est retourné vivre chez sa mère, la douce et forte Irène "C'est sa verticalité qui a toujours fait taire chacun dans sa classe de campagne, ou dans les pires moments de sa vie quand en la voyant passer, on cessait de se plaindre." Etienne retrouvera son village, la nature, la rivière, et ses deux amis...Est-ce que cela suffira pour faire taire ses souffrances?
J'ai retenu cette phrase :
"Est-ce que chaque bonheur n'est pas là pour créer l'espérance du suivant?"
Je ne vais pas plus loin, vous lirez ce roman, je ne veux rien dévoiler de plus.
J'ai beaucoup aimé ce livre. J'ai aimé l'amour de cette maman pour son enfant, l'amour inconditionnel d'une mère pour ses enfants, se sentir libre lorsque nous savons que nos enfants sont heureux, "Comment berce t-on un homme qui a derrière les paupières toutes les atrocités."
La souffrance d'un enfant élevé sans son père qui préférait courir sur toutes les mers, une souffrance si bien écrite.
Il y a la musique qui sauve.
Au moment où je lis j'aime savoir que l'auteur a écrit pour lui et pas pour nous, les mauvais écrivains écrivent en fonction de leurs lecteurs, ça ne donne jamais de beaux romans. Jeanne Benameur fait partie des écrivains qui s'interrogent sur le sens de la vie à son rythme un peu lent.
J'espère que vous aimerez ce livre autant que moi.
Bye MClaire.