jeudi 1 octobre 2015

Un faux pas dans la vie d'Emma Picard - Mathieu Belezi.



Je n'ai pas cherché ce livre, il s'est offert à moi comme le précédent, chez Easy-Cash, quelle belle rencontre, ce roman et moi.
C'est un magnifique roman écrit par un homme qui a un style éblouissant. Ce bouquin est sorti en janvier, il aurait dû sortir en septembre, il aurait mérité le Goncourt, c'est mon avis.
J'avais lu "C'était notre terre" le premier de la trilogie qui avait été nommé pour le Goncourt en 2008 si je ne me trompe pas, je n'ai pas lu "Les vieux fous". Une trilogie qui commence par le départ des pieds-noirs "C'était notre terre" et qui se termine par l'arrivée des premiers colons en Algérie dans les années 1860 sous Napoléon III.

Inutile de vous dire que j'ai pleuré, l'histoire d'Emma et de ses quatre garçons est bouleversante. Le gouvernement français distribuait des concessions en Algérie à des paysans très pauvres, leur donnant l'espoir d'être riche un jour. Emma se voit attribuer vingt hectares de terre algérienne entre Sidi-Bel-Abbés et Mascara. Elle est alsacienne, veuve,  a quatre solides garçons à élever, elle n'hésite pas à partir. Elle débarque pleine d'espoir mais la réalité du terrain va très vite la rattraper. Ses économies fondent, la terre est aride, la ferme en mauvais état, pas d'eau de juin à septembre, seule une source loin de chez elle peut faire qu'ils ne meurent pas de soif et aide à arroser quelques légumes, ils iront la chercher tous les jours. L'été à l'intérieur des terres en Algérie est terrible, l'hiver assez court mais il fait froid, il neige. Le paludisme, la dysenterie tuent. Emma et ses enfants subiront les pires calamités, tremblement de terre, vol de sauterelles qui ravage tout, mais elle y croyait encore et encore. Il y a l'Arabe Mékika qui restera pour l'aider jusqu'à la fin, dévoué inconditionnel. 
"Et une imagination de pauvre ça construit des maisons très-grandes, des champs très-gras, des arbres très-nombreux, une imagination de pauvre ça vous fait prendre les vessies pour des lanternes comme on dit".

Heureusement, dans les pires moments Emma peut se reposer sur l'épaule de Jules, le mécréant, le révolutionnaire qui veut faire tomber Napoléon III. Emma est une femme encore jeune, elle a besoin de cet homme qu'elle aimera.

Le pire arrivera à cette maman courageuse.

On me dira sans doute ou peut être pas "Tu es concernée par ce roman, c'est la raison pour laquelle tu as tant aimé ce livre".
Evidemment que oui, je me sens concernée mais même si je n'avais pas aussi bien connu l'Algérie mon avis aurait été le même, un livre magnifique.

La famille paternelle de mon père était Béarnaise, j'ai vu sur internet qu'une concession avait été attribuée à Victor Crabos né à Tarbes, c'est tout ce que je sais, sa mère était d'origine alsacienne et savoyarde, mon père ne racontait rien, jamais, je sais que mon grand-père était officier de la santé maritime à Alger, ma grand mère élevait 11 enfants, c'est tout, ils sont morts bien avant que je sache poser des questions. C'est vraiment dommage. Pendant toute la lecture de ce livre j'ai pensé à ce béarnais qui découvrait l'Algérie.
Du côté de ma mère, ils arrivaient d'Espagne, de l'Andalousie et de Madrid dans les années 1830 sans doute. Pauvres et à peine plus riches lorsqu'ils repartis.
Mon arrière grand-mère racontait, ma mère aussi, les liens étaient plus resserrés avec ma famille maternelle. Une famille chaleureuse.
Il leur a fallu sans doute beaucoup de courage pour adopter cette terre d'Algérie qui ne voulait pas d'eux.

J'ai connu les calamités décrites mais dans un autre confort, à une autre époque. 

J'ai connu ce soleil qui grille tout, la fournaise d'Affreville, de toute la vallée du Chélif, Miliana était plus agréable, bâtie au pied du Zaccar.

J'ai connu le vol de sauterelles qui s'abat sur tout. C'était à Téniet-el-Haad, un après midi, un bruit, un nuage sombre qui dévore tout, les acacias n'avaient plus une feuille, les jardins dévastés.
J'ai connu le tremblement de terre d'Orléansville, terrible.

J'ai vu ma mère grelotter sous des tonnes de couvertures, une crise de paludisme est impressionnante pour des enfants.

Nos voisins très proches, les Pastou, étaient colons, ils racontaient le travail harassant de leurs parents pour enlever chaque pierre et faire pousser de l'orge ou du blé, leur ferme avait été brûlée par les fellagas, leur fils tué d'un coup de revolver dans la tête sur un trottoir de Téniet, la terre d'Algérie ne voulait pas d'eux, il fallait qu'ils partent. Ils ne comprenaient pas. Le gouvernement français faisait des promesses comme en 1860. 
Emma parle à son fils qui est mort :
"En attendant que tu veuilles bien te réveiller, mon fils, je raconte dans quel enfer on nous a jetés, nous autre colons, abandonnés à notre sort de crève-la-faim sur des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous".

Nous sommes partis en laissant une Algérie complètement différente, la colonisation prenait fin, l'ordre logique des choses. Nous n'accepterions pas d'être soumis à d'autres.
Une autre histoire commençait, elle devait se faire sans nous. Emma l'alsacienne a payé très cher le prix de cette colonisation, d'autres aussi.

Lisez ce livre qui est une tragédie, la voix d'Emma sort de son ventre ravagé, qu'y a t-il de plus terrible que de perdre ses enfants? "N'en veux pas à ta mère mon Joseph"
Emma ne croit plus en Dieu.
"Emma s'accuse d'avoir entraîné sa famille dans cet enfer, maudit les « terres de ténèbres » qui n'ont jamais voulu d'eux, dresse son poing vers le ciel : « Etait-il possible que le Dieu des chrétiens ait tourné le dos à son peuple colonisateur venu tout exprès en Bar­barie pour chasser le mal et le remplacer par le bien ? »
 J'ai lu je ne sais plus où qu'il y avait du Giono dans ce récit, c'est vrai.

 Bye MClaire.