dimanche 24 novembre 2013

Sorj Chalandon "Le quatrième mur"








Presque systématiquement chaque année je lis le Goncourt des lycéens, je suis allée acheter "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon pour ne pas faillir à mes habitudes et surtout parce qu'un autre lecteur m'avait recommandé ses bouquins.
J'ai dû lire plus d'un millier de bouquins depuis que je sais lire, je n'ai jamais compté, mais aucun ne m'a autant bouleversée, on ne peut pas sortir intacte lorsqu'on a tourné la dernière page de ce livre. Je suis à peu près certaine que ce roman restera à jamais gravé dans ma mémoire.
J'ai lu des livres passionnants, d'autres un peu moins, il m'arrive de saisir un livre à l'occasion d'un rangement et de me dire "Tiens, il parlait de quoi celui-là?" Je lis la quatrième de couverture ou quelques lignes et l'histoire apparaît, mais il n'a pas laissé de traces.
Autant vous avertir tout de suite, âmes sensibles s'abstenir. Ce "roman", enfin je n'arrive pas à intégrer l'idée que c'est un roman, tout à l'air tellement vrai, tout est vrai, le massacre de Chatila est vrai, la guerre du Liban est vraie, la folie des hommes est vraie.

Sorj Chalandon a mis son expérience de grand reporter au service de son roman. Il a couvert la guerre du Liban de 1981 à 1987, il a vu un jour de septembre 1982 le massacre de Chatila, une nuit couché sur le toit d'un immeuble il voyait les balles traçantes et il trouvait ça beau, là il a pris la décision d'arrêter parce qu'il ne pouvait plus vivre avec de telles images, sa raison était en train de vaciller. Georges le personnage principal du livre prend la relève du reporter, lui ira jusqu'à la fin, jusqu'au moment où il n'y a plus de limite, où la guerre prend possession de l'homme jusqu'à ce qu'elle lui paraisse indispensable à sa vie, jusqu'au point de sacrifier les personnes qu'il aime le plus au monde sa femme et sa fille restées en France dans leur petit confort qu'il ne supporte plus.

L'histoire imaginée par Chalandon : Sam un juif de Thessalonique a fui le régime des colonels en Grèce, il a fait la connaissance de Georges lors des combats d'étudiants d'extrême gauche et d'extrême droite. Sam est metteur en scène, adepte de la non violence, "La violence est une faiblesse" avait dit Sam après une embuscade tendue à des étudiants d'extrême droite, il ne supportait pas les coups et le slogan "CRS SS", un jour il avait pris Georges par le bras et s'était campé devant les CRS en disant :
"Alois Brunner (tortionnaire nazi) n'était pas là Georges. Ni aucun autre SS. Ni leurs chiens, ni leurs fouets. Alors ne balance plus jamais ce genre de conneries, d'accord ?"

Sam a une passion le théâtre et le rêve de faire jouer Antigone au Liban par des acteurs de tous les camps, Palestiniens, Chiites, chrétien Libanais, Druzes, phalangistes.., il a trouvé le lieu qui servira de théâtre, sur la ligne de démarcation. L'Antigone de Anouilh pas celle de Sophocle, Antigone la petite maigre qui tient tête à Créon, un symbole de liberté. une résistante. Il a recruté tous les acteurs, préparé minutieusement la mise à scène mais il tombe gravement malade, un cancer du poumon qui s'est généralisé, il va mourir mais ne veut pas abandonner son rêve, il demande à Georges de continuer ce qu'il a commencé. Georges est surpris, hésite et accepte, il n'a pas la force de lui refuser ça.
Il partira au Liban pour quelques semaines, il essaiera de porter à bout de bras cette utopie, aller jusqu'au terme de cette histoire, mais la guerre n'est pas du théâtre...

Il y a aussi la façon dont chaque acteur s'attribue leur rôle, chacun reporte dans le personnage ses propres croyances, la plus émouvante est la Palestienne, la belle Imane qui devra interpréter Antigone. Georges en tombera même un peu amoureux.
Créon est un chrétien, il se veut le garant de l'ordre, il impose sa loi. Eurydice sera jouée par une Chiite, mais elle ne veut pas se suicider à la fin, sa religion lui interdit ce geste, il faudra que Georges trahisse le texte d'Anouilh pour lui faire adopter son rôle. L'Arménienne sera Ismène. Hémon est Druze.

C'est une plongée bouleversante dans la folie des hommes. Je n'ai jamais lu des pages aussi fortes. Les pages décrivant la tuerie de Chatila sont terribles. La folie des hommes contaminera Georges, il sera lui aussi poussé à la folie.

J'ai aussi beaucoup aimé le personnage de Marwan le chauffeur de taxi Druze.

Je ne peux pas penser qu'il vaut mieux vivre une guerre plutôt qu'une autre, la guerre est tellement laide, mais je n'ai pas pu m'empêcher de dire "Au moins en Algérie, il n'y avait que deux camps, la France contre le FLN, on savait qui était en face." Au Liban c'est presque impossible, les alliances se font et se défont, les snippers sont au coin des rues.

J'ai une belle sœur qui est chrétienne libanaise, hier je l'ai appelée pour lui demander la date exacte de son arrivée en France, en 1976 pour suivre ses études en fac de pharmacie, elle ne pouvait pas étudier sérieusement au Liban, la situation était trop tendue. Le Liban est en guerre depuis presque 40 ans. Ce pays est fait d'alliances, il est aussi un refuge pour les émigrés qui fuient les conflits, leur grand problème en ce moment est l'arrivée des Syriens. Trop de communautés, comment arriver à s'entendre?

Lisez ce livre sublime, il vous bouleversera, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que Sorj Chalandon avait écrit une partie de sa propre histoire, il est Georges jusqu'à un certain moment où la fiction prend le relais. Je n'arrivais pas à m'endormir hier soir, ce livre me hantait.
Jusqu'à aujourd'hui mon livre préféré de l'année 2013 était "La cuisinière d'Himmler" "Le quatrième mur" est venu le concurrencer.
J'ai un autre de ses bouquins qui attend "La promesse" mais avant je vais lire quelque chose de plus léger "Journal intime d'un arbre" de Didier Van Cauwelaert, en poche.


Bye MClaire.