Mon émotion après avoir refermé ce livre est un peu retombée, je peux écrire une gazette.
Si je n'avais pas entendu J.C Ruffin parler de ce bouquin sur France-Inter je ne l'aurais sans doute jamais lu, J.C Ruffin présidait le jury du prix littéraire de la station. Je ne connais pas Valérie Zenatti en tant qu'auteure, elle écrit beaucoup pour la jeunesse. Magnifique écrivaine.
Les mots choisis, l'émotion à fleur de peau, elle nous transporte dans cette histoire algérienne que beaucoup ignore.
Coïncidence, la veille de l'achat de ce livre j'avais regardé "L'Algérie vue du ciel" de Y.A Bertrand, filmée comme seul sait le faire Y.A Bertrand et il y avait de très belles images de Constantine, cette ville coupée en deux, un pont suspendu relie les deux rives. Enfant, je suis allée à Constantine, nous allions passer des vacances à Herbillon tout près de Bône et le souvenir de ce pont est bien présent, j'entendais mon oncle ou mes parents qui disaient "Il y a plein de suicides, les gens se jettent de là-haut, ils ne se ratent jamais".
L'histoire de Jacob débute à Constantine, dans une famille juive qui parlait approximativement français et surtout arabe.
l'histoire des juifs-arabes est complexe dans les pays du Maghreb, ils étaient là bien avant la colonisation par la France.
A la déclaration de la guerre de 40 les enfants juifs étaient interdits d'école, je l'ai appris en lisant ce livre, la France a eu besoin de chair à canon, ils étaient aptes à partir à la guerre, quelle ignominie !
Jacob était le dernier enfant de la famille Melki, il portait le prénom d'un de ses frères mort, Rachel la mère avait mis Jacob au monde assez tard, il était beau, sensible, parlait parfaitement français, connaissait tous les grands auteurs, les poètes, son maître ne tarissait pas d'éloges sur lui. Il vivait dans cette famille modeste, le père était cordonnier, son frère Abraham vivait aussi dans ce petit appartement avec toute sa famille, ils dépliaient les matelas le soir dans la salle à manger. La violence envers les enfants était chose courante, on punissait très durement sous les yeux réprobateurs des femmes, mais il fallait se taire, les hommes faisaient la loi.
Ils ne connaissaient la France que par les livres, comme moi, j'ai connu "notre patrie" à l'âge de 16 ans, à l'occasion de vacances, la soeur de ma mère habitait Vanves, elle pouvait nous recevoir. Nous chantions tous les lundis des hymnes patriotes mais nous ne connaissions rien de ce pays, que des images dans les livres d'histoire.
Jacob a 19 ans, le service militaire l'appelle, il part et sa mère se griffe le visage et se livre à des rituels pour conjurer le mauvais sort, elle a quelques nouvelles par cartes postales, il est du côté de Touggourt dans le sud. Rachel en bonne mère juive décide de partir pour l'embrasser et le nourrir, pour la première fois de sa vie elle part seule en train, elle brave tous les interdits, pour finalement apprendre qu'il a pris un bateau pour la France, pour aller se battre à Toulon, en Alsace...Elle ne l'embrassera plus.
Achetez ce livre pour lire la suite, vous ne pouvez pas passer à côté de ce bouquin.
J'ai évidemment retenu des torrents de larmes, avec plus ou moins de succès, je m'essuyais souvent le visage, je posais le livre pour évacuer la boule qui se coinçait dans ma gorge.
J'ai aussi souri en reconnaissant certaines expressions.
Cheikh Raymond souvent cité était le beau-père d'Enrico Macias, il était musicien et l'idole des juifs-arabes de Constantine, je l'ai appris en France lorsque Enrico Macias en a parlé. Cheikh Raymond avait été assassiné par un "fell" Finalement, les cultures ne se mélangeaient pas.
J'ai aussi compris, enfin, pourquoi mon père ne racontait jamais la guerre, il avait fait la campagne d'Italie, libéré l'Alsace, mais il n'en parlait jamais. Les hommes tuaient pour se défendre, les souvenirs étaient sans doute douloureux, ne pas les raviver était une sorte de défense. Il se passe la même chose avec ceux qui ont fait la guerre d'Algérie, ils n'en parlent pas.
Merci à Valérie Zenatti pour ce livre qui vous fera découvrir, qui m'a fait découvrir une autre culture, je ne sais pas si les juifs de notre époque nient leur arabité, pourtant cette arabité coule dans leurs veines à jamais. L'histoire est-elle responsable?
J'ai eu aussi un regret en lisant ce roman, ne pas avoir voulu apprendre à parler l'arabe, refuser catégoriquement de parler cette langue, quelle idiote, habiter un pays pendant 20 ans et ne pas vouloir apprendre plus que compter jusqu'à 5, dire bonjour, et quelques vilains mots. J'allais en cours d'arabe obligatoire mais je faisais de la résistance. Erreur de jeunesse.
Voilà, que dire d'autre, c'est un grand roman, qui parle aussi du déracinement. Comme Rachel, mon arrière grand-mère est arrivée en France à plus de 80 ans sans connaître ce pays, comment a t-elle fait pour ne jamais montrer son désespoir? Elle qui a laissé tous ses morts sur cette terre tant aimée. Comme Rachel elle m'a vue avec un ventre rond, j'attendais mon deuxième bébé qui allait naître en France, comme Rachel elle faisait des gâteaux de là-bas.
Bye MClaire.