samedi 13 septembre 2014

L'amour et les forêts -Eric Reinhart.





Il me faudra du temps pour digérer ce livre, un roman qui marque notre esprit, dur, inoubliable, bouleversant, superbement écrit.
Je suis contente de l'avoir lu avant l'attribution des prix, il est favori pour le Goncourt et en général je ne lis pas les Goncourt. J'ai tout de même lu "Au revoir là-haut" prêté par une copine un an après sa parution, j'ai aimé mais je ne vais pas en parler parce qu'il me semble que tout a été dit sur ce livre. J'ai tout de même une petite critique, la fin est un peu répétitive, j'ai sauté des passages, mais l'ensemble du livre de Pierre Lemaître est vraiment admirable, il méritait ce prix.
Je ne lis pas les Goncourt parce qu'il me semble que les dés sont pipés, les petites magouilles entre écrivains qui siègent au Goncourt et qui sont publiés dans une maison d'édition, il faut bien favoriser celui qui vous publie, ce n'est peut être pas le cas mais tout ça est confus. Le Goncourt des lycéens me semble plus justement attribué, je lis toujours celui-ci.

L'histoire de "L'amour et les forêts" d'Eric Reinhard :

Ce roman est né de la rencontre dans un train entre l'auteur et une lectrice de son précédent roman, Elle se confiera à lui, comme d'autres femmes qui se sont reconnues et qui se sont confiées à lui par lettres, c'est donc presque une histoire vraie, des histoires vraies en une seule, un amalgame de toutes ces femmes qui fera le personnage principal Bénédicte Ombredanne. L'auteur n'écrit presque jamais Bénédicte, il écrit toujours Bénédicte Ombredanne, comme dans un procés-verbal.

Bénedicte Ombredanne est une jeune femme professeure agrégée de littérature, deux enfants, un garçon et une fille, mariée à Jean-François employé de banque; Elle n'est pas heureuse dans sa vie de femme, un mari qui la harcèle, qui la maltraite, pervers, manipulateur avec ses enfants qu'il dresse contre leur mère.
Elle rêvait d'une autre vie, tout au long du livre elle rêve sa vie loin de cet homme qui la rabaisse sans cesse mais elle n'ose pas le quitter, complètement sous emprise, la peur, la menace "Si tu me quittes, je tue les enfants et je me tue après" Un soir après une scène particulièrement éprouvante vient le déclic, elle s'inscrit sur Meetic pour trouver celui qui va la comprendre.
Suit un paragraphe assez amusant de ses échanges avec ceux qui la contactent sur son ordi. Il y a tous les genres d'hommes sur Meetic mais il y a Christian qui a pris comme pseudo Playmobil677, un rendez-vous est programmé pour le lendemain à Strasbourg, elle s'y rend, c'est le coup de foudre, Bénédicte vit pendant quelques heures le plus beau moment de sa vie, une parenthèse enchantée dans sa vie si terne.
Il lui faudra rendre compte à son mari de cette absence, elle arrive chez elle assez tard, le frigo étant vide, les enfants se plaignent, J.François traite sa femme d'une façon humiliante et il n'aura de cesse de la harceler, la nuit, le jour tant qu'elle n'aura pas dit la vérité. Elle dira la vérité dans un moment d'épuisement, ce sera la descente aux enfers, plus de sommeil, plus de repos, il la surveille sans cesse, elle est sa chose, lui qui n'est pas grand chose.

La dernière partie du livre est dévastatrice. J'ai particulièrement été touchée par le témoignage de Marie-Claire, la soeur jumelle de Béatrice, le même prénom que moi et les mêmes sentiments vis à vis d'une femme qui n'arrivait pas à prendre sa vie en main. Marie-Claire est mariée avec le frère de J.François, Damien, elle le connait depuis toujours, ils s'aiment et lorsqu'elle dit "Il ne suffit pas de s'aimer, il faut aussi avoir des goûts communs, bien s'entendre, être amis" je suis complètement d'accord. J'étais contente que les deux personnages sympathiques de ce bouquin portent nos deux prénoms, Christian et M.Claire.

La fin est dure, j'étais complètement sonnée par l'attitude du mari, j'ai vécu un épisode semblable à celui que vit Bénédicte, la maladie, j'a eu la chance d'avoir un compagnon attentif, soucieux de mon bien-être, aimant, d'autres femmes n'ont pas cette chance, je le savais, les infirmières étaient là pour témoigner. La fin de Béatrice est bouleversante, au-delà de ce que nous pouvons imaginer.

Bénédicte fait deux cancers primaires, je ne suis pas du tout d'accord avec la phrase que prononce MClaire "On ne fait pas deux cancers primaires coup sur coup si on ne veut pas s'évader de son existence". Je n'ai jamais voulu m'évader de mon existence en faisant deux cancers primaires, jamais, j'ai une trop belle vie. On peut faire des cancers-chagrins comme disent les oncologues, un chagrin enfoui qui s'exprime de cette façon, ça peut arriver.

Lorsque je faisais ma chimio je l'ai déjà raconté, une autre malade était dans la même chambre que moi et me racontait le déni de son mari face à cette maladie, elle supportait seule ses souffrances, il ne venait même pas la chercher à la fin de la séance, je la voyais tourmentée, ne sachant plus à qui se confier et la séance chimio était pour elle le seul moment où elle pouvait parler de sa maladie, c'était presque une récréation dans sa vie, ce sont ses propres mots, j'étais révoltée et je l'écoutais, Christian était là, toujours là lorsque ça n'allait pas, jamais défaillant, il prenait sa part.

Une envie de meurtre en lisant les derniers jours de Bénédicte, ce mari qui existe sans doute quelque part.

Ce que j'ai aimé dans ce livre :

L'écriture, les mots choisis, les sentiments si bien décrits. Je me demande souvent comment un écrivain fait pour si bien décrire ce que les gens ressentent au plus profond de leur âme et conscience.
Marie-Claire qui est esthéticienne raconte la vie de sa jumelle avec des mots qui ne sont pas employés dans la vie courante, des mots délicats, qui parlent vraiment, qui racontent bien sa soeur qui rêvait d'absolu.

Ce livre n'est pas fait pour aller dans toutes les mains, il peut ravager une lectrice ou un lecteur qui va se reconnaître dans le personnage de Bénedicte, elle va se confronter au livre en fonction de ce qu'elle vit. Il faut être bien dans sa vie pour ne pas sortir complètement ravagée après sa lecture.

Ce roman sera important, il est puissant, on ne peut pas l'oublier, je l'ai refermé en disant "Je suis finalement contente de l'avoir fini, il provoque trop de sentiments de colère, je ressentais trop la souffrance de cette femme qui a sans doute existée et qui existe sans aucun doute quelque part, pourquoi n'est-elle jamais partie, pourquoi les femmes battues, harcelées ne se décident elles jamais à partir?"

Lisez - le si vous vous sentez assez forts, il mérite d'être lu.  Bye MClaire.