mercredi 9 octobre 2013

Le premier homme de Camus.


C'est vraiment un pur hasard, lire Khadra et Camus en suivant, deux écrivains nés en Algérie qui ne peuvent pas me laisser indifférente.


Albert Camus aurait eu 100 ans cette année, le 7 novembre, il aurait pu avoir 100 ans mais il est mort en 1960 dans un accident de voiture en laissant dans la carcasse broyée une sacoche avec un manuscrit inachevé qui est devenu un livre "Le premier homme". Il est édité en poche, je l'ai acheté. Une copine me disait que j'avais une sensibilité développée avec cette auteur à cause de nos origines communes, l'Algérie.
C'est sans doute vrai, même certainement vrai, mais il y a aussi l'écriture de Camus, cette façon d'écrire, très claire, je pense que n'importe quel lecteur peut lire ses bouquins, ce n'est jamais imperméable au grand nombre, il m'arrive quand même de relire un paragraphe pour mieux comprendre, on ne peut pas lire en diagonale si on veut bien assimiler ses romans. 
"Le premier homme" est un livre inabouti, autobiographique en grande partie, le manuscrit était annoté, nous avons un aperçu de la façon de travailler de l'écrivain, il y a tout de même une grande cohérence dans le roman, j'ai lu avec un grand intérêt la vie de ce gamin très pauvre qui allait devenir prix Nobel de littérature.
J'avais souvent les larmes au bord des yeux parce que toute mon enfance surgissait dans certains chapitres. La vie des petits-blancs d'Alger ressemblait beaucoup à la vie de la famille de ma mère, à celle de mon arrière grand-mère près de Médéa, et j'ai tout à coup compris que nous avions vécu sur une terre sans aïeux. Faire un arbre généalogique est impossible.
Mon père a vécu toute son enfance à Alger dans une cité populaire, moins pauvre que le quartier où vivait Camus, mais les rares souvenirs qu'il évoquait m'ont fait penser à ceux écrits par l'auteur, la rue, la plage avec ses nombreux frères (ils étaient 10 garçons et une fille chez mon père) Mon père racontait très peu, je ne sais presque rien de mes grands-parents.
"Oui, il avait vécu ainsi dans les jeux de la mer, du vent, de la rue, sous le poids de l'été et des lourdes pluies du bref hiver.."
J'ai aussi repensé à une photo, celle de mon père habillé en zouave pour aller faire la guerre dans un pays qu'il ne connaissait pas, cette photo était régulièrement affichée sur le mur et aussi régulièrement elle disparaissait, mon père l'aimait et ma mère ne l'aimait pas, elle le trouvait trop maigre et il avait des yeux immenses qui lui mangeaient le visage. J'entendais les réflexions à chaque fois que la photo disparaissait. Personne ne voulait céder.
"Beau costume rouge et bleu à culottes bouffantes du régiment des zouaves, suant sur la laine épaisse dans la chaleur de juillet, le canotier à la main, parce qu'il n'y avait ni chéchia, ni casque, après avoir quitté clandestinement le dépôt sous les voutes des quais, et couru pour venir embrasser ses enfants et sa femme, avant l'embarquement du soir pour la France qu'il n'avait jamais vue, sur la mer qui ne l'avait jamais porté.."
Le père de Camus partait faire la guerre de 14, j'imagine la même scène vécue par mes parents pour partir à la guerre en 40. Là encore pas de souvenirs, la guerre avait été une parenthèse dans sa vie, jamais je n'ai entendu mon père parler de ce qu'il avait vécu, les hommes racontent rarement la guerre, trop de souffrances physiques et psychiques.

La cuisson des beignets ronds qui rissolaient dans l'huile m'a fait venir l'eau à la bouche, j'adorais ces beignets arabes. Le départ des hirondelles à la fin de l'été, j'avais oublié.
Nous qui connaissions que le soleil brûlant et les brefs hivers, nous devions apprendre ou lire des textes où des enfants encapuchonnés, avec des grosses chaussures de neige, marchaient sur les chemins envahis par la neige, la cheminée fumait sur les images, mais chez nous pas de chauffage, seul un petit Mirus dispensait un peu de chaleur. Notre patrie était tellement loin, ça pouvait nous faire rêver. Les enfants riches partaient en vacances en Métropole, j'ai connu la France j'avais 16 ans à l'occasion de nos premières vacances, grande découverte, mais nous n'étions pas du tout malheureux, nous avions la mer chaude, la montagne, un ciel magnifique, nous étions les rois du monde.
Camus raconte ses baignades avec son oncle qui l'amenait au large, il se tenait à ses épaules et se laissait porter, j'ai en tête exactement la même scène avec un habitant d'Herbillon, Basile, j'avais 9 ans, je nageais toute la journée et lui m'amenait au loin, là où je n'avais pas le droit d'aller seule, je me retenais à lui et d'un seul coup je lui disais "J'ai peur, il faut retourner." Il me ramenait en riant.
Les siestes que nous étions obligés de faire, ma mère ne disait pas "A benidor." comme la grand-mère de Camus, l'espagnol était rarement parlé dans notre famille, des mots quelquefois, pour que les enfants ne comprennent pas.

J'ai appris que sur 600 colons envoyés, mon arrière grand-père paternel devait en faire partie puisque j'ai vu sur internet qu'une concession avait été donnée à Victor Crabos, il arrivait du Béarn, sur ces 600 colons 150 meurent sous les tentes. Le grand nombre d'orphelinats en Algérie tient à ça. La quinine était avalé comme une consommation courante, le paludisme faisait des ravages. Avant de devenir des terres cultivées il n'y avait souvent que des marais.
Le Maréchal Bugeaud mariait ces colons à Toulon à de vigoureuses fiancées pour les accompagner dans leur conquête de l'Algérie.

Le livre de Camus est presque entièrement consacré à la recherche du père, disparu alors qu'il n'avait qu'un an. Parti faire la guerre de 14 dans les tranchées, mort d'un éclat d'obus et enterré à St-Brieuc, Camus ira sur sa tombe à l'âge de 40 ans, là il prendra conscience de l'absence et surtout que son père était beaucoup plus jeune que lui lorsqu'il est mort. Un choc.
Tout au long du bouquin Camus se pose la question "Qui suis-je."
Un homme l'aidera à comprendre, son instituteur si important dans sa vie. Il le nommera lorsqu'il fera son discours à Stockholm, en recevant son prix Nobel.
Sa grand-mère si autoritaire est aussi très présente, mais rien ne dépassera l'amour qu'il a toujours porté à sa mère, en partie sourde, analphabète, il dira un jour :
 "J’ai toujours condamné la terreur. Je dois condamner aussi un terrorisme qui s’exerce aveuglément, dans les rues d’Alger par exemple, et qui un jour peut frapper ma mère ou ma famille. Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice."
Il vénérait sa mère.
Il y avait chez cet homme une passion de vivre, je suis admirative devant son parcours de vie. Il y a certainement des zones d'ombre, comme chez tous les êtres humains, nul n'est parfait, mais quelle vie. Comment aurait-il vieilli ? J'ai toujours trouvé qu'il avait une "gueule" à faire du cinéma, un peu à la Humphrey Bogart.

Un livre profondément humain et qui nous amène à nous poser des questions sur nos racines, notre filiation, pour nous français d'Algérie les questions restent souvent sans réponses. Les dernières pages de ce bouquin sont magnifiques.

Si vous n'avez jamais lu Albert Camus, lisez ce livre, il devrait vous plaire, pour ceux qui n'ont jamais connu l'histoire de la colonisation, il peut être très instructif.
Chaque homme est "un premier homme."

Bye MClaire.




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