vendredi 17 janvier 2014

Fouad Laroui "Une année chez les Français."



Il y a des livres qui sont des pépites, j'aurais pu passer à côté, mais Danièle l'avait acheté, 
il fallait absolument que je lise, elle est arrivée au club avec ce bouquin. Ce roman a été en lice pour le Goncourt et publié en livre de poche en 2011.
Son auteur Fouad Laroui est marocain, professeur de littérature à l'Université d'Amsterdam, poète, économiste, un homme aux multiples dons comme son héros Mehdi, cet enfant de 10 ans qui est sans doute son double.

J'ai aussi aimé ce bouquin parce qu'il m'a sans cesse fait penser à mon enfance, mes années en pension, j'avais l'impression d'y être, les même impressions, le même sentiment d'abandon en arrivant pour la première fois dans la cour du lycée Alphonse Daudet à Miliana, l'enfant qui découvrira ce que sera son monde pendant des années, les odeurs de soupe du réfectoire, le dortoir qu'il fallait partager, les pionnes qui nous surveillaient et qui ne se privaient pas de faire des réflexions blessantes, et surtout savoir que pendant des semaines nous ne retournerions pas chez nous. J'habitais trop loin, 100 km à cette époque en Algérie c' était le bout du monde, mon père n'avait pas de voiture, même pas de permis, il l'a eu plus tard.

Mon lycée.





Contrairement à Mehdi j'avais une correspondante, c'était une tante de mon père qui habitait à deux pas du lycée, elle me sortait tous les dimanches, le temps du repas et à 17h retour à l'internat. Je n'avais jamais vu cette famille avant mes 10 ans, je me faisais toute petite, je baissais les yeux parce que je ne voulais pas manger les grains de caviar qui étaient dans mon assiette, ils étaient riches, nous ne l'étions pas.
Tout le temps que cette tante a vécue je retournais au lycée avec des friandises, lorsqu'elle est morte le régime n'a plus été le même, sa fille n'avait pas les mêmes élans de générosité. Je devais me contenter d'attendre les vacances scolaires pour retrouver les petites gâteries de la maison. J'étais très maigre, ma mère me bourrait d'huile de foie de morue pour me remplumer. Dans le livre Mehdi est aussi malingre, le hachis parmentier de la pension n'est pas facile à avaler, la cuisine marocaine de sa mère est meilleure. Il aime beaucoup le lait caillé, ma mère aussi aimait le lait caillé, pas moi.
Medhi est boulimique de lecture, comme moi depuis toujours, ce bouquin est aussi un hymne aux livres et aux auteurs. Le premier jour seul dans la cour, les autres ne sont pas encore arrivés, il cherche désespérément quelque chose à lire, une affiche fait son bonheur, mais il ne comprend pas la moitié des mots. Petite j'étais aussi toujours à la recherche de lecture, nous n'achetions pas mais il y avait la bibliothèque et j'ai eu la chance d'avoir une mère qui aimait lire. Chez Mehdi pas de livres, mais un instituteur qui l'ouvrait à la lecture. On ne dira jamais assez combien l'école doit être formatrice, éduquer, l'institutrice et l'instituteur étaient des personnages importants dans notre vie, respectés. Combien de personnages célèbres issus de milieux modestes sont arrivés tout en haut grâce à leur instituteur qui a su persuader les familles qui avaient besoin de bras de laisser le petit continuer ses études? Mehdi-Fouad a eu cette chance. L'école pouvait être un ascenseur social.

L'histoire de ce livre :

Les années 1968-70.
Ébloui par l'intelligence et la boulimie de lecture de son élève, un instituteur arrive à persuader la maman de Medhi d'envoyer ce dernier faire des études au prestigieux lycée Lyautey de Casablanca, il obtient une bourse.
L'enfant n'a jamais quitté le pied de l'Atlas, un vrai choc culturel, se produisent des situations cocasses, les mots des livres ne sont pas les mêmes que ceux qui sont employés par les pions, le proviseur, il ne comprend rien, se réfugie dans le mutisme. Sa mère n'a pas respecté les ordres du lycée en ce qui concerne le trousseau, pas de mouchoirs, pas de pyjamas, il se trouve affublé d'un pyjama rose, la honte. Les autres arrivent avec des valises pleines de chemises bien repassées. Son "pâtre onime" n'est même pas cousu sur ses vêtements, Mehdi ne sait pas ce qu'est un patronyme, ni une mine Pat Hibulaire.

Il ne sait pas qu'il sera le seul à rester en pension le week-end, personne ne viendra le chercher, jusqu'aux vacances de la Toussaint où le proviseur décide qu'il devra quitter le lycée, il faut lui trouver un correspondant, les parents de son meilleur ami, mais il n'a pas de meilleur ami, il donnera un nom au hasard, s'établira une grande amitié entre les deux enfants et les parents décideront de le prendre chez eux chaque week-end, ce sont des français, Medhi découvrira leur façon de vivre, de manger, de boire, il pourra lire à satiété, il y a beaucoup de livres dans cette maison.
Le petit "moutchou" du bled apprendra vite, se révélera le meilleur élève de sa classe, obtiendra le prix d'excellence. Sa mère est venue assister à la remise des prix, très fière de son fils, moment plein d'émotion, rencontre entre une mère en djellaba bleue et une française élégante qui lui parle de voie royale pour Mehdi, la maman ne comprend pas et pense que son fils sera roi un jour.
Là encore la scène de la remise des prix est exactement celle qui se passait dans la cour de mon lycée, l'estrade, les livres entourés d'un ruban "La vie de Jeanne d'Arc, l'Exploration de l'espace, Louis Pasteur bienfaiteur de l'humanité, les splendeurs de Versailles" les chaises pour les invités, pour les parents qui venaient nous chercher pour les grandes vacances, les valises étaient prêtes. Je n'ai hélas! jamais eu de prix pour les mathématiques, ni pour les sciences, des prix pour le français, l'histoire ou la géographie oui. Allergique aux chiffres pour toujours.
Mehdi est le meilleur en tout, il adore les maths, la littérature, le théâtre, il découvre Racine et sera encore le meilleur comédien jusqu'au jour où il découvre qu'il n'aura pas le rôle principal dans une pièce "fabriquée" par son professeur de théâtre du lycée, énorme déception, sentiment d'injustice, le héros doit être blond et lui est brun et frisé. Il ne voudra plus jouer.
Son rêve avoir la collection complète de "Tout l'Univers". Je ne sais plus ce que nous avons fait de la nôtre, Christian me dit qu'elle est au garage.


Lisez ce livre, 286 pages de bonheur, vous découvrirez la vie d'un enfant du Maroc qui un jour devra choisir entre ses origines et la vie que les Français lui ont offerte dans ce lycée Lyautey.
Il y a beaucoup de passages drôles, de la tendresse, vous comprendrez aussi pourquoi les deux mondes se côtoyaient mais ne se mélangeaient pas. j'aurais bien voulu être la correspondante du petit Mehdi, cet enfant si attachant. Ce livre est un bijou.
Ce livre a aussi été pour moi une occasion de revenir en arrière dans un pays qui n'est pas l'Algérie mais qui lui ressemble beaucoup, c'est très dur et de plus en plus dur avec l'âge de savoir que plus jamais nous ne retournerons dans un pays qui nous a vu naître, très dur d'être coupée de ses racines, des endroits de notre jeunesse, pour moi qui n'ai jamais eu de rancoeur, d'envie de revanche ni de colère. Bon, il vaut mieux ne pas y penser.

Bye MClaire.