vendredi 14 novembre 2014

Jeanne Benameur "ça t'apprendra à vivre" - "Les réputations" de J.G Vasquez.



Je suis allée à la FNAC, je voulais acheter "Constellation", je n'avais pas trouvé ce bouquin chez Leclerc, ni chez Carrefour, épuisé certainement, il était sur les rayons à la FNAC, à l'entrée et dans le magasin, il doit bien se vendre. Je suis un peu contrariante, je le voulais et puis finalement non, je n'en voulais plus, j'ai préféré acheter le dernier Laurent Gounelle, j'aime cet auteur "Le jour où j'ai appris à vivre", Gounelle a une passion pour la philosophie, la psychologie, le hasard, la découverte de soi, j'ai lu trois livres de cet auteur et j'ai toujours aimé.
Comme à chaque fois je flâne dans les rayons, je touche les bouquins,  je les ouvre, je parcours, je repose et mes yeux se sont posés sur le livre de Jeanne Benameur "ça t'apprendra à vivre". 
Hasard, deux livres avec le mot VIVRE dans le titre.
C'est un livre de poche, un petit livre 112 pages, des paragraphes courts, je l'ai lu en deux heures avec une émotion que vous ne pouvez pas imaginer, ce n'était pas tout à fait ma vie lorsque j'étais enfant mais beaucoup de similitudes.

Jeanne Benameur est née en Algérie d'une mère d'origine italienne, le nord de l'Italie, blonde aux yeux bleus et d'un père arabe, cette alliance avait dû être difficile à vivre, il y avait très peu de couples mixtes, cela ne pouvait être qu'une "vie entre-deux" entre deux religions, deux familles différentes, des coutumes différentes. La guerre d'Algérie ne facilitait pas les choses, le père de Jeanne était chef de prison, l'OAS le menaçait, un soir tous les harkis qui protégeaient la prison ont été égorgés, un soir chez nous les fellaghas cognaient à toutes les portes et aux fenêtres, les militaires appelés en renfort ont tiré sur une forme blanche devant notre porte, des rafales de mitraillette.
La famille doit "s'exiler" rejoindre la métropole, une ville sur l'Atlantique, un appartement de fonction vieillot "Et nous on doit fonctionner avec" comme nous, mes parents ont toujours habité des appartements de fonction sans confort, la France, la pluie, l'humidité, le soleil qui manque, l'hostilité des autres. Le père rêve d'une maison à Saint-Raphaël, il en parle, une maison de famille "Elle vient de sortir de terre, de ta bouche. Papa tu mens, nous n'avons rien, ni ici, ni ailleurs, rien que nos mots. Pas de pierres pour faire de vrais murs. Pas d'herbe pour un vrai jardin. Rien. Nous n'avons jamais eu de maison à nous".

Sa mère a du mal à s'habituer à cette vie, comme la mienne lorsque mon père a été nommé à Béthune, cela devait être pire que La Rochelle, ma mère perdue qui avait mis des vieux chiffons dans une malle pour faire les vitres en arrivant, et avait tout laissé en Algérie pensant récupérer son déménagement qui n'est jamais arrivé. Quelle drôle d'idée que ces chiffons, mais ceux qui ne savent pas combien c'est dur de devoir choisir entre ce qu'on laisse et ce qu'on prend avec nous ont sans doute du mal à comprendre.

La mère de Jeanne ne regardait jamais sa fille, ou très peu, c'est la dernière des quatre enfants, la petite est clairvoyante, elle entend, elle voit, elle comprend, très tôt elle a su lire et écrire, les mots sont pour elle une sorte de liberté, elle écrit.
Petite elle résistait à deux choses, boire son café au lait avec une peau qui s'est formée parce qu'elle attendait trop longtemps, comme moi, je n'aimais pas le goût du lait de ferme "Allez bois" disait sa mère les mains sur les hanches, ma mère faisait la même chose, Jeanne ne voulait pas manger du beurre, je ne voulais pas manger des fèves "à l'étouffée", je résistais pendant des heures en promettant de vomir comme elle.
Jeanne avait peur des oiseaux, les becs des oiseaux la terrifiaient, comme moi. Voilà, j'ai compris pourquoi je n'aime pas tenir un oiseau dans ma main, ce sont les becs qui me terrifient.

Le livre se termine sur ces phrases "Un jour du mois de février, sous la pluie, on a creusé, on a enfoui.
Mais je ne peux plus perdre l'endroit.
Le nom de mon père est gravé sur la plaque".

Le nom de mon père est aussi gravé sur une plaque dans un cimetière bien loin de l'endroit où il est né, mais ce n'est qu'une urne qui est là, dans le mot horrible de "cavurne" une cave. Pour moi, l'incinération n'est pas l'enfermement, je refuse, plus tard, le plus tard possible je veux rester sur la terre, pas dans la terre, je n'accepte pas l'idée d'être enfermée..

J'aime beaucoup l'écriture de Jeanne Benameur, un peu sèche, des phrases courtes mais elle sait faire passer beaucoup de sentiments en très peu de mots. J'avais lu il n'y a pas très longtemps "Les insurrections singulières" j'avais écrit une gazette ici

Ce livre est une belle découverte, je suis contente d'avoir laissé mes yeux traîner le long des rayons de la Fnac.





Très beau livre sur la mémoire, sur le pouvoir des caricaturistes, le petit dessin qui paraît chaque jour dans un journal et qui peut détruire une réputation.

Cela se passe en Colombie, le pays de Rendon un caricaturiste célèbre qui s'est suicidé à l'âge de 37 ans. 
Javier Mallarino est dans le roman un caricaturiste célèbre, il a tous les honneurs, tout le monde le craint, ses armes, de l'encre de chine et du papier. Il est menacé, il perd sa femme qui préfère partir avec leur fille, trop d'orgueil, il est connu, il aime ce sentiment de puissance, elle ne supporte plus.
Un jour un fantôme du passé surgit Samantha Leal, une copine de sa fille qui était venue fêter l'anniversaire de son amie, il se passe une chose effroyable pendant cet anniversaire, les gamines vident tous les fonds de verre, ivres, elles sont allongées dans une chambre en attendant qu'elles dessoulent. Pendant la fête un député arrive chez Mallarino pour lui demander d'arrêter de le caricaturer, ses enfants n'en peuvent plus, sa famille souffre. La fête continue et l'irréparable ce produit, les invités voient le député descendre l'escalier, il a apparemment violé une des fillettes, Samantha. Le lendemain sa caricature est dans le journal avec une phrase " Adolfo Cuellar, député : Laissez les petites filles venir à moi". Il finira par se suicider.
C'est là que la mémoire intervient, est-ce que Javier se souvient vraiment de tout lorsque Samantha Leal vient lui demander de lui raconter cette soirée, elle veut savoir. La mémoire est faillible, nous pouvons inventer le passé.

Je m'arrête là, vous devez lire ce livre parce qu'il nous ramène à notre époque actuelle, à l'heure où la sphère publique et la sphère privée se mélangent. Nous savons tout, un dessin, un clic peuvent détruire des vies, des réputations.

Bye MClaire.