vendredi 28 août 2020

"Sofia Aouine - Rhapsodie des oubliés."


 "Cette minute entre l'enfance et la jeunesse est la pire." Cocteau.

Conseillé par François Busnel, c'était écrit sur le bandeau du livre. J'ai lu la quatrième de couverture et j'ai acheté ce livre de poche. Un vrai coup de poing. 

Abad a treize ans, il vit dans le quartier de la Goutte-d'Or dans le XVIIIème, ce n'est pas le quartier le plus chic de Paris, c'est là que ses parents se sont installés après leur départ du Liban, un pays en guerre, ils sont des Arabes pas comme les autres, ils ne ressemblent pas aux Arabes qui vivent dans ce quartier mais pour les autres ils seront toujours des Arabes de Barbès.

Dès les premières lignes du roman nous entrons dans l'univers d'Abad, un gamin en pleine puberté qui ne pense qu'à ça, il sera fiché comme primo-délinquant. "Les adultes oublient toujours leur enfance, c'est pour ça qu'ils deviennent des vieux cons", c'était Odette une voisine qui disait ça. Le père Michel, le prêtre de l'Eglise syriaque avait conseillé à sa mère un pèlerinage au pays ou un exorciste. Il représentait le péché et en dernier recours il sera conduit devant une psy, une dame censée guérir son "dedans", le guérir de la "bagnette". Des belles lignes écrites, la psy est juive, Ethel Futterman elle comprendra la souffrance de cet enfant, j'ai beaucoup aimé ces moments d'apaisement, loin des pseudos imans, des prostituées, des Batman ces filles en jilbab qu'il ne faut jamais regarder sous peine "d'être traqué par un frère qui risque de te couper les couilles". Loin des cassos, des drogués, des Salafistes.

Gervaise est aussi un beau personnage de ce roman, prostituée, enlevée à sa fille qui est restée en Afrique, au Cameroun, elle devra payer une dette pour récupérer son enfant. Son destin sera tragique.

Odette fait aussi partie des personnages que nous n'oublierons pas, elle qui oubliera tout dans une maison de retraite. Elle était celle qui lisait du Camus à l'enfant, lui faisait écouter de la musique, des moments rares. Odette racontait "Alain Bashung a habité ce quartier jusqu'à la fin "La nuit je, la nuit de mens.." Lunettes noires, chapeau vissé au crâne, il errait la nuit et disparaissait dès que le jour se pointait. Il avait toujours vécu là"

Les parents d'Abad ont aussi leurs problèmes, ils sont pauvres, bossent beaucoup pour assurer le quotidien, le père parle peu, cogne souvent, la mère se tait, rase les murs. Après un accident de travail du père, tout se compliquera, il finira par disparaître après avoir vu un documentaire sur le Japon "Les évaporés" ceux qui disparaissent, qui ne seront jamais retrouvés, ceux qui ont honte de leur quotidien. La maman d'Abad finira par confier son fils à l'ASE, "Aide sociale à l'enfance", une famille de la Baie de Somme l'accueillera, sans affection, travaux de la ferme, école. Loin de la rue Léon-Barbès, Abad sera pourtant heureux, baignades, promenades en vélo, il oubliait doucement son quartier.....

J'ai regretté l'absence de conclusion.. Une suite?

Si vous acceptez les mots crus, le langage particulier de ce quartier, la langue du bitume, vous ne pourrez pas rester indifférent à ce roman. Personnellement, j'ai adoré découvrir ce que nous ne côtoyons jamais ou que nous ne voulons pas voir et entendre, le désespoir, la souffrance, la violence. Abad est lumineux. Un très beau premier livre pour cette auteure qui a aussi connu ces quartiers, elle est aujourd'hui reporter radio.

Bye MClaire.