lundi 10 mars 2014

En finir avec Eddy Bellegueule

J'ai lu un livre de Christine Arnothy "Une question de chance" et un autre en tête des ventes en ce moment "En finir avec Eddy Bellegueule".
Très différents, vraiment différents, mais c'est cela qui rend la lecture passionnante.

Christine Arnothy est l'écrivaine de "J'ai quinze ans et je ne veux pas mourir." Lu il y a longtemps, j'ai lu bien d'autres bouquins de cette auteure, des livres plus faciles, celui-ci fait partie des bouquins légers mais qui en même temps  amène des réflexions sur les difficultés de la vie à deux, surtout lorsque l'autre est noir et que l'héroine Nora est juive, indépendante, talentueuse, difficile de s'entendre sur les choses essentielles de la vie. Les unions mixtes ne sont pas toujours des réussites, différence de culture, ce n'est pas une question de couleur, simplement une question de structure intérieure, l'amant africain ne peut pas comprendre les désirs de Nora. Elle finira par rompre.
Elle rencontrera celui qu'elle attendait, un blanc qui la comprendra et qui acceptera l'adoption de deux enfants noirs. Elle pensait que tout serait facile en ayant enfin des enfants à aimer, ce ne sera pas le cas, les enfants se murent dans le silence, trop de différence, trop d'argent, eux qui arrivent d'un pays en guerre, eux qui n'avaient rien regardent ce monde qui les entoure sans parler. Ce sera l'ancien amant africain qui trouvera la solution pour que ces enfants acceptent enfin de communiquer.
A mes yeux le seul  intérêt de ce livre est qu'il parle du racisme et de la religion. Cela ne restera pas un souvenir impérissable de lecture.



Tous les gens qui aiment lire connaissent l'histoire de ce bouquin, on en parle beaucoup en ce moment, il y a même des polémiques qui sont en train de surgir.

Nous recevons un vrai coup de poing à la lecture de ce livre. Un autre monde, celui de la France profonde. J'ai souvent eu l'impression de lire un récit écrit dans les années 50, non, cela se passe dans notre monde, celui d'aujourd'hui. Ce livre est dérangeant parce qu'il nous fait découvrir un univers que nous ne connaissons pas, un univers à la Zola. J'étais presque surprise lorsqu'il parlait des téléphones portables, jusqu'au moment où je réalisais que l'histoire se déroule à notre époque.
C'est un livre autobiographique, l'auteur a 21 ans, il est actuellement un brillant étudiant en philosophie.
Cela se passe dans un village de Picardie, un village d'où personne ne part, se rendre à quinze kilomètres est déjà une expédition. Il y a une maison qui devient une ruine où l'odeur de frites règne à longueur de temps, le père qui se retrouve au chômage, qui boit mais qui ne veut pas frapper sa femme et ses enfants parce qu'il a lui même souffert de la violence de son père, ce qui ne l'empêche pas d'être violent en paroles.
Eddy est un enfant de dix ans un peu différent, efféminé, la voix haut perchée, il est la risée des jeunes, se fait battre à l'école par deux jeunes qui le traitent de tous les noms, il ne dit rien, accepte les coups, il souffre de cette différence et ne pense qu'à une chose devenir un vrai dur comme les hommes de ce village obsédés par l'idée de ne pas être des pédés. Dans ce village les hommes sont des dominants et les femmes subissent. 
Il y a aussi l'omniprésence de la télé qui fonctionne à longueur de journée, ça fait un bruit de fond la télé. La journée n'avait de sens qu'en attendant "La roue de la fortune" autour de quelques verres de pastis, les bouteilles défilaient.
Je continue à ne pas comprendre que l'argent manque pour le nécessaire et pas pour l'alcool, les cigarettes, c'est toujours une interrogation chez moi.

Eddy n'arrive pas à trouver sa place dans ce monde, un seul rêve fuir.
Il sera admis au lycée à Amiens, il adore le théâtre et sera l'élève d'une classe où il pourra exercer sa passion, ce sera l'occasion pour lui de fuir cette famille où le manque d'argent est permanent, où la misère règne, où le seul fait de prendre une douche crée des disputes, on se lave dans la même eau que les autres. 
Eddy comprend qu'il devra se construire contre les autres, ne pas chercher à devenir ce vrai dur qu'il n'est pas., celui qui casse "du pédé et du bougnoule" à longueur de temps, même si dans ce village il y a très peu d'étrangers.
C'est une chronique de la haine ordinaire. C'est aussi une chronique sociale.
Un roman très fort, il y a des passages un peu difficiles à lire parce que nous n'imaginons pas que cet univers puisse exister. Le langage est souvent cru, les phrases prononcées dans la famille sont écrites en italique. Des paroles très dures à entendre par un petit garçon qui lui même se pose des questions sur ces intonations féminines, sa voie aiguë, ses manières de parler avec des grands gestes. Toute la souffrance de cet enfant est difficile à accepter.

"comment il parle l'autre, pour qui il se prend. Ça y est il va à la grande école il se la joue au monsieur, il nous sort sa philosophie".

"C'est un mec oui ou merde?Il pleure tout le temps, il a peur du noir, c'est pas un vrai mec.Pourquoi? Pourquoi il est comme ça? Pourquoi? Je l'ai pourtant pas élevé comme une fille, je l'ai élevé comme les autres garçons. Bordel de merde."

" ça n'a pas été trop dur, parce que je suis une bonne reproductrice, je suis quand même tombée enceinte alors que j'avais un stérilet, et j'ai eu des jumeaux, alors bon, et ça reste entre nous, mais ton père il a un sacré engin" 
Une mère qui parle de cette façon à son enfant, c'est ignoble.

Le style d'écriture de ce livre est simple, facile à lire mais ponctué par instants de réflexions philosophiques. 

Il y a tout de même des moments de tendresse, enfin comme on peut l'être dans cette famille, avec des mots, ceux qu'ils savent prononcer et ça ne dure jamais longtemps.

J'ai un peu regretté de ne pas lire quelques pages sur la vie actuelle d'Eddy qui a décidé de rompre complètement avec son passé en s'appelant Edouard Louis.

Ce jeune homme de 21 ans a certainement un grand avenir dans la littérature.


Bye MClaire.